Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 16


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– En effet, mademoiselle, balbutia Raoul, tout effaré, tout haletant, et moi même, malgré la bonne opinion que vous avez de moi, j’avoue…


– Tout à l’heure, dit-elle, M. de Saint-Aignan est venu chez moi de la part du roi.


Elle baissa les yeux.


De son côté, Raoul détourna les siens pour ne rien voir.


– M. de Saint-Aignan est venu chez moi de la part du roi, répéta-t-elle, et il m’a dit que vous saviez tout.


Et elle essaya de regarder en face celui qui recevait cette blessure après tant d’autres blessures ; mais il lui fut impossible de rencontrer les yeux de Raoul.


– Il m’a dit que vous aviez conçu contre moi une légitime colère.


Cette fois, Raoul regarda la jeune fille, et un sourire dédaigneux retroussa ses lèvres.


– Oh ! continua-t-elle, je vous en supplie, ne dites pas que vous avez ressenti contre moi autre chose que de la colère. Raoul, attendez que je vous aie tout dit, attendez que je vous aie parlé jusqu’à la fin.


Le front de Raoul se rasséréna par la force de sa volonté ; le pli de sa bouche s’effaça.


– Et d’abord, dit La Vallière, d’abord, les mains jointes, le front courbé, je vous demande pardon comme au plus généreux, comme au plus noble des hommes. Si je vous ai laissé ignorer ce qui se passait en moi, jamais du moins je n’eusse consenti à vous tromper.

Oh ! je vous en supplie, Raoul, je vous le demande à genoux,

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répondez-moi, fût-ce une injure. J’aime mieux une injure de vos lèvres qu’un soupçon de votre cœur.


– J’admire votre sublimité, mademoiselle, dit Raoul en faisant un effort sur lui-même pour rester calme. Laisser ignorer que l’on trompe, c’est loyal ; mais tromper, il paraît que ce serait mal, et vous ne le feriez point.


– Monsieur, longtemps, j’ai cru que je vous aimais avant toute chose, et, tant que j’ai cru à mon amour pour vous, je vous ai dit que je vous aimais. À Blois, je vous aimais. Le roi passa à Blois ; je crus que je vous aimais encore. Je l’eusse juré sur un autel ; mais un jour est venu qui m’a détrompée.


– Eh bien ! ce jour-là, mademoiselle, voyant que je vous aimais toujours, moi, la loyauté devait vous ordonner de me dire que vous ne m’aimiez plus.


– Ce jour-là, Raoul, le jour où j’ai lu jusqu’au fond de mon cœur le jour où je me suis avoué à moi-même que vous ne remplissiez pas toute ma pensée, le jour où j’ai vu un autre avenir que celui d’être votre amie, votre amante, votre épouse, ce jour-là, Raoul, hélas !

vous n’étiez plus près de moi.


– Vous saviez où j’étais, mademoiselle ; il fallait écrire.


– Raoul, je n’ai point osé. Raoul, j’ai été lâche. Que voulez-vous, Raoul ! je vous connaissais si bien, je savais si bien que vous m’aimiez, que j’ai tremblé à la seule idée de la douleur que j’allais vous faire ; et cela est si vrai, Raoul, qu’en ce moment où je vous parle, courbée devant vous, le cœur serré, des soupirs plein la voix, des larmes plein les yeux, aussi vrai que je n’ai d’autre défense que ma franchise, je n’ai pas non plus d’autre douleur que celle que je lis dans vos yeux.