– Prenez garde ! dit Raoul avec un sourire amer ; car tout à l’heure vous allez peut-être dire que je ne vous aimais pas.
– Oh ! vous m’aimez comme un tendre frère ; laissez-moi espérer cela, Raoul.
– Comme un tendre frère ? Détrompez-vous, Louise. Je vous aimais comme un amant, comme un époux, comme le plus tendre des hommes qui vous aiment.
– Raoul ! Raoul !
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– Comme un frère ? Oh ! Louise, je vous aimais à donner pour vous tout mon sang goutte à goutte, toute ma chair lambeau par lambeau, toute mon éternité heure par heure.
– Raoul, Raoul, par pitié !
– Je vous aimais tant, Louise, que mon cœur est mort, que ma foi chancelle, que mes yeux s’éteignent ; je vous aimais tant, que je ne vois plus rien, ni sur la terre, ni dans le ciel.
– Raoul, Raoul, mon ami, je vous en conjure, épargnez-moi !
s’écria La Vallière. Oh ! si j’avais su !…
– Il est trop tard, Louise ; vous aimez, vous êtes heureuse ; je lis votre joie à travers vos larmes ; derrière les larmes que verse votre loyauté, je sens les soupirs qu’exhale votre amour. Louise, Louise, vous avez fait de moi le dernier des hommes : retirez-vous, je vous en conjure. Adieu ! adieu !
– Pardonnez-moi, je vous en supplie !
– Eh ! n’ai-je pas fait plus ? Ne vous ai-je pas dit que je vous aimais toujours ?
Elle cacha son visage entre ses mains.
– Et vous dire cela, comprenez-vous, Louise ? vous le dire dans un pareil moment, vous le dire comme je vous le dis, c’est vous dire ma sentence de mort. Adieu !
La Vallière voulut tendre ses mains vers lui.
– Nous ne devons plus nous voir dans ce monde, dit-il.
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Elle voulut s’écrier : il lui ferma la bouche avec la main. Elle baisa cette main et s’évanouit.
– Olivain, dit Raoul, prenez cette jeune dame et la portez dans sa chaise, qui attend à la porte.
Olivain la souleva. Raoul fit un mouvement pour se précipiter vers La Vallière, pour lui donner le premier et le dernier baiser ; puis, s’arrêtant tout à coup :
– Non, dit-il, ce bien n’est pas à moi. Je ne suis pas le roi de France, pour voler !
Et il rentra dans sa chambre, tandis que le laquais emportait La Vallière toujours évanouie.
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Chapitre CCI – Ce qu'avait deviné Raoul
Raoul parti, les deux exclamations qui l’avaient suivi exhalées, Athos et d’Artagnan se retrouvèrent seuls, en face l’un de l’autre.
Athos reprit aussitôt l’air empressé qu’il avait à l’arrivée de d’Artagnan.
– Eh bien ! dit-il, cher ami, que veniez-vous m’annoncer ?
– Moi ? demanda d’Artagnan.
– Sans doute, vous. On ne vous envoie pas ainsi sans cause ?
Athos sourit.