Ce jour-là dans ce café, j’avais soudain envie de mettre ma main sur la tienne et de la caresser. Je ne voulais pas plus, j’avais tout simplement pitié de toi. Jusqu’à la douleur. Et c’est toi! Si indépendante, si sûre! Mais tes yeux étaient tristes, et tu étais si maigre.
…Et pourquoi je regarde le téléphone? Regarder ou ne pas regarder, tu n’appelleras pas avant midi.
12h30. Il me semble que je m’énerve, qu’est ce que tu fais? Ton chef t’a redonné du travail et tu n’auras pas le temps de déjeuner? Certes, il ne sait pas, mais d’où le saurait-il, qu’au même moment un homme est assis dans une chambre et attend que la secrétaire Marie-Ange prenne le téléphone, compose un numéro et dise simplement: «Salut, Guy». Je commence à détester ton chef, bien que peut-être, il ne soit pas coupable. Peut-être comme tu dis, c’est ton insupportable sœur Elisabeth qui est coupable. Elle a pris l’habitude de t’appeler à ton travail à la pause de midi. Parfois tu dis qu’elle est malheureuse, solitaire… Tu as pitié d’elle et elle en profi te. Pour moi elle est comme un tyran. Elle t’appelle tous les soirs et elle occupe le téléphone pendant des heures, mais pour ne rien dire.
Les minutes s’égrènent… Le téléphone reste muet.
Qu’est-ce que c’est? Je ne vois pas ce que j’écris… Je pleure?? C’est bien sûr ridicule: un homme d’âge mûr aux cheveux gris écrit une lettre à une femme de laquelle il est amoureux comme un adolescent… Mais les garçons ne pleurent pas comme disait ma mère.
J’ai honte. Je serai fort, tu appelleras. Absolument. Et nous irons «Chez ma cousine», nous commanderons ta viande préférée «le bœuf Bourguignon» et moi, comme d’habitude, je mangerai ta glace. J’ai en plus un excellent plan pour ce week-end, tu aimeras.
15h30. Qui pourrait supposer qu’il y a tant de force dans cette femme fragile? Et moi, je voulais te protéger. Tu n’aimes pas parler de ton défunt mari. C’est étrange. On voit que tu l’aimais mais on dirait que tu le sens fautif. Avec quel dépit tu coupes court aux questions et en même temps tu parles de sa bonté? Il n’est plus là, il t’a laissé un fi ls, c’est pour çà que tu lui en veux. C’est vrai?
Tu penses que je veux prendre sa place dans ton cœur? Et déjà çà ne te plaît pas. Et oui alors… Excuse-moi, mais une place dans ton lit m’intéresse moins. C’est autre chose. Oui, j’aime m’endormir avec toi, te sentir… J’aime t’aimer. Mais j’ai besoin de toi, non simplement comme la femme est nécessaire à l’homme. Tu es généreuse, le don rare. Tu penses que je veux abuser de ta générosité et t’obliger à rester à mes cotés? Certes, je peux te convaincre et te dire qu’avec moi la vie sera plus facile car ton fi ls est déjà adulte et tu peux penser à toi-même.