Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 111

Anne d'Autriche aimait le roi, ou plutôt la royauté dans son fils aîné : Louis XIV lui représentait la légitimité divine.

Elle était reine mère avec le roi ; elle était mère seulement avec Philippe. Et ce dernier savait que, de tous les abris, le sein d'une mère est le plus doux et le plus sûr.

Aussi, tout enfant, allait-il se réfugier là quand des orages s'étaient élevés entre son frère et lui ; souvent après les gourmades qui constituaient de sa part des crimes de lèse-majesté, après les combats à coups de poings et d'ongles, que le roi et son sujet très in-soumis se livraient en chemise sur un lit contesté, ayant le valet de chambre La Porte pour tout juge du camp, Philippe, vainqueur, mais épouvanté de sa victoire, était allé demander du renfort à sa mère, ou du moins l'assurance d'un pardon que Louis XIV n'accordait que difficilement et à distance. Anne avait réussi, par cette habitude d'intervention pacifique, à concilier tous les différends de ses fils et à participer par la même occasion à tous leurs secrets.

Le roi, un peu jaloux de cette sollicitude maternelle qui s'épan-dait surtout sur son frère, se sentait disposé envers Anne d'Autriche à plus de soumission et de prévenances qu'il n'était dans son caractère d'en avoir.

Anne d'Autriche avait surtout pratiqué ce système de politique envers la jeune reine.

Aussi régnait-elle presque despotiquement sur le ménage royal, et dressait-elle déjà toutes ses batteries pour régner avec le même absolutisme sur le ménage de son second fils. Anne d'Autriche était presque fière lorsqu'elle voyait entrer chez elle une mine allongée, des joues pâles et des yeux rouges, comprenant qu'il s'agissait d'un secours à donner au plus faible ou au plus mutin.

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Elle écrivait, disons-nous, lorsque Monsieur entra dans son oratoire, non pas les yeux rouges, non pas les joues pâles, mais inquiet, dépité, agacé.

Il baisa distraitement les bras de sa mère, et s'assit avant qu'elle lui en eût donné l'autorisation.

Avec les habitudes d'étiquette établies à la cour d'Anne d'Autriche, cet oubli des convenances était un signe d'égarement, de la part surtout de Philippe, qui pratiquait si volontiers l'adulation du respect.

Mais, s'il manquait si notoirement à tous ces principes, c'est que la cause en devait être grave.

– Qu'avez-vous, Philippe ? demanda Anne d'Autriche en se tournant vers son fils.

– Ah ! madame, bien des choses, murmura le prince d'un air dolent.