Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 110

Manicamp, moins avancé dans l'intimité de Son Altesse Royale que le chevalier de Lorraine, essayait vainement de lire dans les yeux du prince ce qui lui donnait cette mine si maussade. Le chevalier de Lorraine, qui n'avait besoin de rien devenir, attendu qu'il savait tout, mangeait avec cet appétit extraordinaire que lui donnait le chagrin des autres, et jouissait à la fois du dépit de Monsieur et du trouble de Manicamp.

Il prenait plaisir à retenir à table, en continuant de manger, le prince impatient, qui brûlait du désir de lever le siège. Parfois Monsieur se repentait de cet ascendant qu'il avait laissé prendre sur lui au chevalier de Lorraine, et qui exemptait celui-ci de toute étiquette.

Monsieur était dans un de ces moments-là ; mais il craignait le chevalier presque autant qu'il l'aimait, et se contentait de rager inté-

rieurement.

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De temps en temps, Monsieur levait les yeux au ciel, puis les abaissait sur les tranches de pâté que le chevalier attaquait ; puis enfin, n'osant éclater, il se livrait à une pantomime dont Arlequin se fût montré jaloux.

Enfin Monsieur n'y put tenir, et au fruit, se levant tout courroucé, comme nous l'avons dit, il laissa le chevalier de Lorraine achever son déjeuner comme il l'entendrait.

En voyant Monsieur se lever, Manicamp se leva tout roide, sa serviette à la main.

Monsieur courut plutôt qu'il ne marcha vers l'antichambre, et, trouvant un huissier, il le chargea d'un ordre à voix basse.

Puis, rebroussant chemin, pour ne pas passer par la salle à manger, il traversa ses cabinets, dans l'intention d'aller trouver la reine mère dans son oratoire, où elle se tenait habituellement. Il pouvait être dix heures du matin.

Anne d'Autriche écrivait lorsque Monsieur entra. La reine mère aimait beaucoup ce fils, qui était beau de visage et doux de caractère.

Monsieur, en effet, était plus tendre et, si l'on veut, plus effémi-né que le roi.

Il avait pris sa mère par les petites sensibleries de femme, qui plaisent toujours aux femmes ; Anne d'Autriche, qui eût fort aimé avoir une fille, trouvait presque en ce fils les attentions, les petits soins et les mignardises d'un enfant de douze ans.

Ainsi, Monsieur employait tout le temps qu'il passait chez sa mère à admirer ses beaux bras, à lui donner des conseils sur ses pâtes et des recettes sur ses essences, où elle se montrait fort recherchée ; puis il lui baisait les mains et les yeux avec un enfan-

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tillage charmant, avait toujours quelque sucrerie à lui offrir, quelque ajustement nouveau à lui recommander.