Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 29

Le roi se retourna pour regarder Colbert.

– Mais… dit celui-ci.

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– Monsieur, poursuivit Fouquet toujours parlant indirectement à Colbert, Monsieur a reçu il y a huit jours seize cent mille livres ; il a payé cent mille livres aux gardes, soixante-quinze mille aux hôpitaux, vingt-cinq mille aux Suisses, cent trente mille aux vivres, mille aux armes, dix mille aux menus frais ; je ne me trompe donc point en comptant sur neuf cent mille livres qui restent.

Alors, se tournant à demi vers Colbert, comme fait un chef dé-

daigneux vers son inférieur :

– Ayez soin, monsieur, dit-il, que ces neuf cent mille livres soient remises ce soir en or à Sa Majesté.

– Mais, dit le roi, cela fera deux millions cinq cent mille livres ?

– Sire, les cinq cent mille livres de plus seront la monnaie de poche de Son Altesse Royale. Vous entendez, monsieur Colbert, ce soir, avant huit heures.

Et sur ces mots, saluant le roi avec respect, le surintendant fit à reculons sa sortie sans honorer d'un seul regard l'envieux auquel il venait de raser à moitié la tête.

Colbert déchira de rage son point de Flandre et mordit ses lèvres jusqu'au sang. Fouquet n'était pas à la porte du cabinet que l'huissier, passant à coté de lui, cria :

– Un courrier de Bretagne pour Sa Majesté.

– M. d'Herblay avait raison, murmura Fouquet en tirant sa montre : une heure cinquante-cinq minutes. Il était temps !

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Chapitre LXXVI – Où d'Artagnan finit par mettreenfin la main sur son brevet de capitaine

Le lecteur sait d'avance qui l'huissier annonçait en annonçant le messager de Bretagne.

Ce messager, il était facile de le reconnaître. C'était d'Artagnan, l'habit poudreux, le visage enflammé, les cheveux dégouttants de sueur, les jambes roidies ; il levait péniblement les pieds à la hauteur de chaque marche sur laquelle résonnaient ses éperons ensanglantés.

Il aperçut sur le seuil, au moment où il le franchissait, le surintendant.

Fouquet salua avec un sourire celui qui, une heure plus tôt, lui amenait la ruine ou la mort.

D'Artagnan trouva dans sa bonté d'âme et dans son inépuisable vigueur corporelle assez de présence d'esprit pour se rappeler le bon accueil de cet homme ; il le salua donc aussi, bien plutôt par bienveillance et par compassion que par respect.

Il se sentit sur les lèvres ce mot qui tant de fois avait été répété au duc de Guise : « Fuyez ! » Mais prononcer ce mot, c'eût été trahir une cause ; dire ce mot dans le cabinet du roi et devant un huissier, c'eût été se perdre gratuitement sans sauver personne.