Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 47

Mlle de Montalais serait fille d'honneur de Madame. M. Malicorne serait officier de Monsieur. On voit que le plan venait d'une bonne tête, on voit aussi qu'il avait été bravement exécuté.

Malicorne avait demandé à Manicamp de demander au comte de Guiche un brevet de fille d'honneur.

Et le comte de Guiche avait demandé ce brevet à Monsieur, lequel l'avait signé sans hésitation.

Le plan moral de Malicorne, car on pense bien que les combinaisons d'un esprit aussi actif que le sien ne se bornaient point au présent et s'étendaient à l'avenir, le plan moral de Malicorne, disons-nous, était celui-ci :

Faire entrer chez Madame Henriette une femme dévouée à lui, spirituelle, jeune, jolie et intrigante ; savoir, par cette femme, tous

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les secrets féminins du jeune ménage, tandis que lui, Malicorne, et son ami Manicamp sauraient, à eux deux, tous les mystères mascu-lins de la jeune communauté.

C'était par ces moyens qu'on arriverait à une fortune rapide et splendide à la fois.

Malicorne était un vilain nom ; celui qui le portait avait trop d'esprit pour se dissimuler cette vérité ; mais on achetait une terre, et Malicorne de quelque chose, ou même de Malicorne tout court, sonnait fort noblement à l'oreille.

Il n'était pas invraisemblable que l'on pût trouver à ce nom de Malicorne une origine des plus aristocratiques.

En effet, ne pouvait-il pas venir d'une terre où un taureau aux cornes mortelles aurait causé quelque grand malheur et baptisé le sol avec le sang qu'il aurait répandu ?

Certes, ce plan se présentait hérissé de difficultés ; mais la plus grande de toutes, c'était Mlle de Montalais elle-même. Capricieuse, variable, sournoise, étourdie, libertine, prude, vierge armée de griffes, Érigone barbouillée de raisins, elle renversait parfois, d'un seul coup de ses doigts blancs ou d'un seul souffle de ses lèvres riantes, l'édifice que la patience de Malicorne avait mis un mois à établir. Amour à part, Malicorne était heureux ; mais cet amour, qu'il ne pouvait s'empêcher de ressentir, il avait la force de le cacher avec soin, persuadé qu'au moindre relâchement de ces liens, dont il avait garrotté son Protée femelle, le démon le terrasserait et se mo-querait de lui. Il humiliait sa maîtresse en la dédaignant. Brûlant de désirs quand elle s'avançait pour le tenter, il avait l'art de paraître de glace, persuadé que, s'il ouvrait ses bras, elle s'enfuirait en le raillant. De son côté, Montalais croyait ne pas aimer Malicorne, et, tout au contraire, elle l'aimait. Malicorne lui répétait si souvent ses protestations d'indifférence, qu'elle finissait de temps en temps par y croire, et alors elle croyait détester Malicorne. Voulait-elle le ramener par la coquetterie, Malicorne se faisait plus coquet qu'elle.