Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 46

M. Malicorne tenait la caisse paternelle. C'est-à-dire qu'en ce temps de facile morale il se faisait de son côté, en suivant l'exemple de son père et en prêtant à la petite semaine, un revenu de dix-huit cents livres, sans compter six cents autres livres que fournissait la générosité du syndic, de sorte que Malicorne était le roi des raffinés

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d'Orléans, ayant deux mille quatre cents livres à dilapider, à gas-piller, à éparpiller en folies de tout genre.

Mais, tout au contraire de Manicamp, Malicorne était effroyablement ambitieux.

Il aimait par ambition, il dépensait par ambition, il se fût ruiné par ambition.

Malicorne avait résolu de parvenir à quelque prix que ce fût ; et pour cela, à quelque prix que ce fût, il s'était donné une maîtresse et un ami.

La maîtresse, Mlle de Montalais, lui était cruelle dans les dernières faveurs de l'amour ; mais c'était une fille noble, et cela suffisait à Malicorne.

L'ami n'avait pas d'amitié, mais c'était le favori du comte de Guiche, ami lui-même de Monsieur, frère du roi, et cela suffisait à Malicorne.

Seulement, au chapitre des charges, Mlle de Montalais coûtait par an : rubans, gants et sucreries, mille livres. De Manicamp coû-

tait, argent prêté jamais rendu, de douze à quinze cents livres par an.

Il ne restait donc rien à Malicorne.

Ah ! si fait, nous nous trompons, il lui restait la caisse paternelle. Il usa d'un procédé sur lequel il garda le plus profond secret, et qui consistait à s'avancer à lui-même, sur la caisse du syndic, une demi-douzaine d'années, c'est-à-dire une quinzaine de mille livres, se jurant bien entendu, à lui-même, de combler ce déficit aussitôt que l'occasion s'en présenterait.

L'occasion devait être la concession d'une belle charge dans la maison de Monsieur, quand on monterait cette maison à l'époque de son mariage.

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Cette époque était venue, et l'on allait enfin monter la maison.

Une bonne charge chez un prince du sang, lorsqu'elle est donnée par le crédit et sur la recommandation d'un ami tel que le comte de Guiche, c'est au moins douze mille livres par an, et, moyennant cette habitude qu'avait prise Malicorne de faire fructifier ses revenus, douze mille livres pouvaient s’élever à vingt.

Alors, une fois titulaire de cette charge, Malicorne épouserait Mlle de Montalais ; Mlle de Montalais, d'une famille où le ventre anoblissait, non seulement serait dotée, mais encore ennoblissait Malicorne. Mais, pour que Mlle de Montalais, qui n'avait pas grande fortune patrimoniale, quoiqu'elle fût fille unique, fût convenablement dotée, il fallait qu'elle appartînt à quelque grande princesse, aussi prodigue que Madame douairière était avare. Et afin que la femme ne fût point d'un côté pendant que le mari serait de l'autre, situation qui présente de graves inconvénients, surtout avec des caractères comme étaient ceux des futurs conjoints, Malicorne avait imaginé de mettre le point central de réunion dans la maison même de Monsieur, frère du roi.