Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 58

– Mon ami, dit-il à de Guiche, je viens te demander ta compagnie. Nous partons pour Le Havre, je présume ?

– Ah ! c'est au mieux ! c'est charmant ! Nous allons faire un merveilleux voyage. Monsieur Malicorne, M. de Bragelonne. Ah !

M. de Wardes, que je te présente.

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Les jeunes gens échangèrent un salut compassé. Les deux natures semblaient dès l'abord disposées à se discuter l'une l'autre. De Wardes était souple, fin, dissimulé ; Raoul, sérieux, élevé, droit.

– Mets-nous d'accord, de Wardes et moi, Raoul.

– À quel propos ?

– À propos de noblesse.

– Qui s'y connaîtra, si ce n'est un Grammont ?

– Je ne te demande pas de compliments, je te demande ton avis.

– Encore faut-il que je connaisse l'objet de la discussion.

– De Wardes prétend que l'on fait abus de titres ; moi, je pré-

tends que le titre est inutile à l'homme.

– Et tu as raison, dit tranquillement de Bragelonne.

– Mais, moi aussi, reprit de Wardes avec une espèce d'obstina-tion, moi aussi, monsieur le vicomte, je prétends que j'ai raison.

– Que disiez-vous, monsieur ?

– Je disais, moi, que l'on fait tout ce qu'on peut en France pour humilier les gentilshommes.

– Et qui donc cela ? demanda Raoul.

– Le roi lui-même ; il s'entoure de gens qui ne feraient pas preuve de quatre quartiers.

– Allons donc ! fit de Guiche, je ne sais pas où diable vous avez vu cela, de Wardes.

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– Un seul exemple.

Et de Wardes couvrit Bragelonne tout entier de son regard.

– Dis.

– Sais-tu qui vient d'être nommé capitaine général des mousquetaires, charge qui vaut plus que la pairie, charge qui donne le pas sur les maréchaux de France ?

Raoul commença de rougir, car il voyait où de Wardes en voulait venir.

– Non ; qui a-t-on nommé ? Il n'y a pas longtemps en tout cas ; car il y a huit jours la charge était encore vacante ; à telle enseigne que le roi l'a refusée à Monsieur, qui la demandait pour un de ses protégés.

– Eh bien ! mon cher, le roi l'a refusée au protégé de Monsieur pour la donner au chevalier d'Artagnan, à un cadet de Gascogne qui a traîné l'épée trente ans dans les antichambres.

– Pardon, monsieur, si je vous arrête, dit Raoul en lançant un regard plein de sévérité à de Wardes ; mais vous me faites l'effet de ne pas connaître celui dont vous parlez.

– Je ne connais pas M. d'Artagnan ! Eh ! mon Dieu ! qui donc ne le connaît pas ?

– Ceux qui le connaissent, monsieur, reprit Raoul avec plus de calme et de froideur, sont tenus de dire que, s'il n'est pas aussi bon gentilhomme que le roi, ce qui n'est point sa faute, il égale tous les rois du monde en courage et en loyauté. Voilà mon opinion à moi, monsieur, et Dieu merci ! je connais M. d'Artagnan depuis ma naissance.