Et le nouveau venu salua cérémonieusement Malicorne, à qui son bel habit donnait des airs de prince.
– 127 –
– M. Malicorne, dit de Guiche à son ami.
De Wardes salua.
– M. de Wardes, dit de Guiche à Malicorne.
Malicorne salua à son tour.
– Voyons, de Wardes, continua de Guiche, dites-nous cela, vous qui êtes à l'affût de ces sortes de choses : quelles charges y a-t-il encore à donner à la cour, ou plutôt dans la maison de Monsieur ?
– Dans la maison de Monsieur ? dit de Wardes en levant les yeux en l'air pour chercher. Attendez donc… celle de grand écuyer, je crois.
– Oh ! s'écria Malicorne, ne parlons point de pareils postes, monsieur ; mon ambition ne va pas au quart du chemin.
De Wardes avait le coup d'œil plus défiant que de Guiche, il devina tout de suite Malicorne.
– Le fait est, dit-il en le toisant, que, pour occuper cette charge, il faut être duc et pair.
– Tout ce que je demande, moi, dit Malicorne, c'est une charge très humble ; je suis peu et ne m'estime point au-dessus de ce que je suis.
– Monsieur Malicorne, que vous voyez, dit de Guiche à de Wardes, est un charmant garçon qui n'a d'autre malheur que de ne pas être gentilhomme. Mais, vous le savez, moi, je fais peu de cas de l'homme qui n'est que gentilhomme.
– D'accord, dit de Wardes ; mais seulement je vous ferai observer, mon cher comte, que, sans qualité, on ne peut raisonnablement espérer d'entrer chez Monsieur.
– 128 –
– C'est vrai, dit le comte, l'étiquette est formelle. Diable !
diable ! nous n'avions pas pensé à cela.
– Hélas ! voilà un grand malheur pour moi, dit Malicorne en pâlissant légèrement, un grand malheur, monsieur le comte.
– Mais qui n'est pas sans remède, j'espère, répondit de Guiche.
– Pardieu ! s'écria de Wardes, le remède est tout trouvé ; on vous fera gentilhomme, mon cher monsieur : Son Éminence le cardinal Mazarini ne faisait pas autre chose du matin au soir.
– Paix, paix, de Wardes ! dit le comte, pas de mauvaise plaisanterie ; ce n'est point entre nous qu'il convient de plaisanter de la sorte ; la noblesse peut s'acheter, c'est vrai, mais c'est un assez grand malheur pour que les nobles n'en rient pas.
– Ma foi ! tu es bien puritain, comme disent les Anglais.
– M. le vicomte de Bragelonne, annonça un valet dans la cour, comme il eût fait dans un salon.
– Ah ! cher Raoul, viens, viens donc. Tout botté aussi ! tout éperonné aussi ! Tu pars donc ?
Bragelonne s'approcha du groupe de jeunes gens, et salua de cet air grave et doux qui lui était particulier. Son salut s'adressa surtout à de Wardes, qu'il ne connaissait point, et dont les traits s'étaient armés d'une étrange froideur en voyant apparaître Raoul.