Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 60

– Eh bien ! après ? fit de Wardes.

– Comment, après ?

– Sans doute : est-il défendu d'attaquer M. d'Artagnan ?

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– Mais vous savez bien que M. d'Artagnan fait le quart de ce tout si glorieux et si redoutable qu'on appelait les Mousquetaires.

– Soit ; mais je ne vois pas pourquoi cela peut m'empêcher de haïr M. d'Artagnan.

– Que vous a-t-il fait ?

– Oh ! à moi, rien.

– Alors, pourquoi le haïr ?

– Demandez cela à l'ombre de mon père.

– En vérité, mon cher de Wardes, vous m'étonnez : M. d'Artagnan n'est point de ces hommes qui laissent derrière eux une inimitié sans apurer leur compte. Votre père, m'a-t-on dit, était de son côté haut la main. Or, il n'est si rudes inimitiés qui ne se lavent dans le sang d'un bon et loyal coup d'épée.

– Que voulez-vous, cher ami, cette haine existait entre mon père et M. d'Artagnan ; il m'a, tout enfant, entretenu de cette haine, et c'est un legs particulier qu'il m'a laissé au milieu de son héritage.

– Et cette haine avait pour objet M. d'Artagnan seul ?

– Oh ! M. d'Artagnan était trop bien incorporé dans ses trois amis pour que le trop-plein n'en rejaillît pas sur eux ; elle est de mesure, croyez-moi, à ce que les autres, le cas échéant, n'aient point à se plaindre de leur part.

De Guiche avait les yeux fixés sur de Wardes ; il frissonna en voyant le pâle sourire du jeune homme. Quelque chose comme un pressentiment fît tressaillir sa pensée ; il se dit que le temps était passé des grands coups d'épée entre gentilshommes, mais que la haine, en s'extravasant au fond du cœur, au lieu de se répandre au-dehors, n'en était pas moins de la haine ; que parfois le sourire était

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aussi sinistre que la menace et qu'en un mot, enfin, après les pères, qui s'étaient haïs avec le cœur et combattus avec le bras, viendraient les fils ; qu'eux aussi se haïraient avec le cœur, mais qu'ils ne se combattraient plus qu'avec l'intrigue ou la trahison. Or, comme ce n'était point Raoul qu'il soupçonnait de trahison ou d'intrigue, ce fut pour Raoul que de Guiche frissonna. Mais tandis que ces sombres pensées obscurcissaient le front de de Guiche, de Wardes était redevenu complètement maître de lui-même.

– Au reste, dit-il, ce n'est pas que j'en veuille personnellement à M. de Bragelonne, je ne le connais pas.

– En tout cas, de Wardes, dit de Guiche avec une certaine sévé-

rité, n'oubliez pas une chose, c'est que Raoul est le meilleur de mes amis.

De Wardes s'inclina.

La conversation en demeura là, quoique de Guiche fît tout ce qu'il put pour lui tirer son secret du cœur ; mais de Wardes avait sans doute résolu de n'en pas dire davantage, et il demeura impéné-