Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 65

– Enfin, te voilà, c'est le principal.

– Par des routes exécrables.

– Où es-tu logé ?

– Logé ?

– Oui.

– Mais je ne suis pas logé.

De Guiche se mit à rire.

– Alors, où logeras-tu ?

– Où tu logeras.

– Alors, je ne sais pas.

– Comment, tu ne sais pas ?

– Sans doute ; comment veux-tu que je sache où je logerai ?

– Tu n'as donc pas retenu un hôtel ?

– Moi ?

– Toi ou Monsieur ?

– Nous n'y avons pensé ni l'un ni l'autre. Le Havre est grand, je suppose, et pourvu qu'il y ait une écurie pour douze chevaux et une maison propre dans un bon quartier.

– Oh ! il y a des maisons très propres.

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– Eh bien ! alors…

– Mais pas pour nous.

– Comment, pas pour nous ? Et pour qui ?

– Pour les Anglais, parbleu !

– Pour les Anglais ?

– Oui, elles sont toutes louées.

– Par qui ?

– Par M. de Buckingham.

– Plaît-il ? fit de Guiche, à qui ce mot fit dresser l'oreille.

– Eh ! oui, mon cher, par M. de Buckingham. Sa Grâce s'est fait précéder d'un courrier ; ce courrier est arrivé depuis trois jours, et il a retenu tous les logements logeables qui se trouvaient dans la ville.

– Voyons, voyons, Manicamp, entendons-nous.

– Dame ! ce que je te dis là est clair, ce me semble.

– Mais M. de Buckingham n'occupe pas tout Le Havre, que diable ?

– Il ne l'occupe pas, c'est vrai, puisqu'il n'est pas encore débarqué ; mais, une fois débarqué, il l'occupera.

– Oh ! oh !

– On voit bien que tu ne connais pas les Anglais, toi ; ils ont la rage d'accaparer.

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– Bon ! un homme qui a toute une maison s'en contente et n'en prend pas deux.

– Oui, mais deux hommes ?

– Soit, deux maisons ; quatre, six, dix, si tu veux ; mais il y a cent maisons au Havre ?

– Eh bien ! alors, elles sont louées toutes les cent.

– Impossible !

– Mais, entêté que tu es, quand je te dis que M. de Buckingham a loué toutes les maisons qui entourent celle où doit descendre Sa Majesté la reine douairière d'Angleterre et la princesse sa fille.

– Ah ! par exemple, voilà qui est particulier, dit de Wardes en caressant le cou de son cheval.

– C'est ainsi, monsieur.

– Vous en êtes bien sûr, monsieur de Manicamp ?

Et, en faisant cette question, il regardait sournoisement de Guiche, comme pour l'interroger sur le degré de confiance qu'on pouvait avoir dans la raison de son ami.

Pendant ce temps, la nuit était venue, et les flambeaux, les pages, les laquais, les écuyers, les chevaux et les carrosses encom-braient la porte et la place, les torches se reflétaient dans le chenal qu'emplissait la marée montante, tandis que, de l'autre côté de la je-tée, on apercevait mille figures curieuses de matelots et de bourgeois qui cherchaient à ne rien perdre du spectacle.