Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 66

Pendant toutes ces hésitations, Bragelonne, comme s'il y eût été étranger, se tenait à cheval un peu en arrière de de Guiche, et regardait les jeux de la lumière qui montaient dans l'eau, en même temps qu'il respirait avec délices le parfum salin de la vague qui

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roule bruyante sur les grèves, les galets et l'algue, et jette à l'air son écume, à l'espace son bruit.

– Mais, enfin, s'écria de Guiche, quelle raison M. de Buckingham a-t-il eue pour faire cette provision de logements ?

– Oui, demanda de Wardes, quelle raison ?

– Oh ! une excellente, répondit Manicamp.

– Mais enfin, la connais-tu ?

– Je crois la connaître.

– Parle donc.

– Penche-toi.

– Diable ! cela ne peut se dire que tout bas ?

– Tu en jugeras toi-même.

– Bon.

De Guiche se pencha.

– L'amour, dit Manicamp.

– Je ne comprends plus.

– Dis que tu ne comprends pas encore.

– Explique-toi.

– Eh bien ! il passe pour certain, monsieur le comte, que Son Altesse Royale Monsieur sera le plus infortuné des maris.

– Comment ! le duc de Buckingham ?…

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– Ce nom porte malheur aux princes de la maison de France.

– Ainsi, le duc ?…

– Serait amoureux fou de la jeune Madame, à ce qu'on assure, et ne voudrait point que personne approchât d'elle, si ce n'est lui.

De Guiche rougit.

– Bien ! bien ! merci, dit-il en serrant la main de Manicamp.

Puis, se relevant :

– Pour l'amour de Dieu ! dit-il à Manicamp, fais en sorte que ce projet du duc de Buckingham n'arrive pas à des oreilles françaises, ou sinon, Manicamp, il reluira au soleil de ce pays des épées qui n'ont pas peur de la trempe anglaise.

– Après tout, dit Manicamp, cet amour ne m'est point prouvé à moi, et n'est peut-être qu'un conte.

– Non, dit de Guiche, ce doit être la vérité.

Et malgré lui, les dents du jeune homme se serraient.

– Eh bien ! après tout, qu'est-ce que cela te fait à toi ? qu'est-ce que cela me fait, à moi, que Monsieur soit ce que le feu roi fût ? Buckingham père, pour la reine ; Buckingham fils, pour la jeune Madame ; rien, pour tout le monde.

– Manicamp ! Manicamp !

– Eh ! que diable ! c'est un fait ou tout au moins un dire.

– Silence ! dit le comte.

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– Et pourquoi silence ? dit de Wardes : c'est un fait fort honorable pour la nation française. N'êtes-vous point de mon avis, monsieur de Bragelonne ?

– Quel fait ? demanda tristement Bragelonne.

– Que les Anglais rendent ainsi hommage à la beauté de vos reines et de vos princesses.

– Pardon, je ne suis pas à ce que l'on dit, et je vous demanderai une explication.

– Sans doute, il a fallu que M. de Buckingham père vînt à Paris pour que Sa Majesté le roi Louis XIII s'aperçût que sa femme était une des plus belles personnes de la cour de France ; il faut maintenant que M. de Buckingham fils consacre à son tour, par l'hommage qu'il lui rend, la beauté d'une princesse de sang français. Ce sera dé-