Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 72

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– Mais, cependant, monsieur…

– Milord, permettez-moi de vous rappeler que je commande seul ici.

– Milord, savez-vous ce que vous dites ? répondit avec hauteur Buckingham.

– Parfaitement, et je le répète : Je commande seul ici, milord, et tout m'obéit : la mer, le vent, les navires et les hommes.

Cette parole était grande et noblement prononcée.

Raoul en observa l'effet sur Buckingham. Celui-ci frissonna par tout le corps et s'appuya à l'un des soutiens de la tente pour ne pas tomber ; ses yeux s'injectèrent de sang, et la main dont il ne se soutenait point se porta sur la garde de son épée.

– Milord, dit la reine, permettez-moi de vous dire que je suis en tout point de l'avis du comte de Norfolk ; puis le temps, au lieu de se couvrir de vapeur comme il le fait en ce moment, fût-il parfaitement pur et favorable, nous devons bien quelques heures à l'officier qui nous a conduites si heureusement et avec des soins si empressés jusqu'en vue des côtes de France, où il doit nous quitter.

Buckingham, au lieu de répondre, consulta le regard de Madame.

Madame, à demi cachée sous les courtines de velours et d'or qui l'abritaient, n'écoutait rien de ce débat, occupée qu'elle était à regarder le comte de Guiche qui s'entretenait avec Raoul.

Ce fut un nouveau coup pour Buckingham, qui crut découvrir dans le regard de Madame Henriette un sentiment plus profond que celui de la curiosité.

Il se retira tout chancelant et alla heurter le grand mât.

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– M. de Buckingham n'a pas le pied marin, dit en français la reine mère ; voilà sans doute pourquoi il désire si fort toucher la terre ferme.

Le jeune homme entendit ces mots, pâlit, laissa tomber ses mains avec découragement à ses côtés, et se retira confondant dans un soupir ses anciennes amours et ses haines nouvelles. Cependant l'amiral, sans se préoccuper autrement de cette mauvaise humeur de Buckingham, fit passer les princesses dans sa chambre de poupe, où le dîner avait été servi avec une magnificence digne de tous les convives.

L'amiral prit place à droite de Madame et mit le comte de Guiche à sa gauche.

C'était la place qu'occupait d'ordinaire Buckingham.

Aussi, lorsqu'il entra dans la salle à manger, fut-ce une douleur pour lui que de se voir reléguer par l'étiquette, cette autre reine à qui il devait le respect, à un rang inférieur à celui qu'il avait tenu jusque-là. De son côté, de Guiche, plus pâle encore peut-être de son bonheur que son rival ne l'était de sa colère, s'assit en tressaillant près de la princesse, dont la robe de soie, en effleurant son corps, faisait passer dans tout son être des frissons d'une volupté jusqu'alors inconnue.