Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 34


– Et vous, mon cher Aramis, dit Athos en souriant m’accompagnez-vous ? La Fère est sur la route de Vannes.


– Moi, mon ami, dit le prélat, j’ai rendez-vous ce soir à Paris, et je ne saurais m’éloigner sans faire souffrir de graves intérêts.


– Alors, mon cher ami, dit Athos, permettez-moi que je vous embrasse, et que je parte. Mon cher monsieur Baisemeaux, grand

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merci de votre bonne volonté, et surtout de l’échantillon que vous m’avez donné de l’ordinaire de la Bastille.


Et, après avoir embrassé Aramis et serré la main à M. de Baisemeaux ; après avoir reçu les souhaits de bon voyage de tous deux, Athos partit avec d’Artagnan.


Tandis que le dénouement de la scène du Palais-Royal s’accomplissait à la Bastille, disons ce qui se passait chez Athos et chez Bragelonne.


Grimaud, comme nous l’avons vu, avait accompagné son maître à Paris ; comme nous l’avons dit, il avait assisté à la sortie d’Athos ; il avait vu d’Artagnan mordre ses moustaches ; il avait vu son maître monter en carrosse ; il avait interrogé l’une et l’autre physionomie, et il les connaissait toutes deux depuis assez longtemps pour avoir compris, à travers le masque de leur impassibilité, qu’il se passait de graves événements.


Une fois Athos parti, il se mit à réfléchir. Alors il se rappela l’étrange façon dont Athos lui avait dit adieu, l’embarras imperceptible pour tout autre que pour lui de ce maître aux idées si nettes, à la volonté si droite. Il savait qu’Athos n’avait rien emporté que ce qu’il avait sur lui, et, cependant, il croyait voir qu’Athos ne partait pas pour une heure, pas même pour un jour. Il y avait une longue absence dans la façon dont Athos, en quittant Grimaud, avait prononcé le mot adieu.


Tout cela lui revenait à l’esprit avec tous ses sentiments d’affection profonde pour Athos, avec cette horreur du vide et de la solitude qui toujours occupe l’imagination des gens qui aiment ; tout cela, disons-nous, rendit l’honnête Grimaud fort triste et surtout fort inquiet.


Sans se rendre compte de ce qu’il faisait depuis le départ de son maître, il errait par tout l’appartement, cherchant, pour ainsi dire, les traces de son maître, semblable, en cela, tout ce qui est bon se

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ressemble, au chien, qui n’a pas d’inquiétude sur son maître absent, mais qui a de l’ennui. Seulement, comme à l’instinct de l’animal Grimaud joignait la raison de l’homme, Grimaud avait à la fois de l’ennui et de l’inquiétude.


N’ayant trouvé aucun indice qui pût le guider, n’ayant rien vu ou rien découvert qui eût fixé ses doutes, Grimaud se mit à imaginer ce qui pouvait être arrivé. Or, l’imagination est la ressource ou plutôt le supplice des bons cœurs. En effet, jamais il n’arrive qu’un bon cœur se représente son ami heureux ou allègre.