Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 42


– Des distractions ? dit-il. Mais j’en ai continuellement, monseigneur.


– Oh ! à la bonne heure ! Et ces distractions ?


– Sont de toute nature.


– Des visites, sans doute ?


– Des visites ? Non. Les visites ne sont pas communes à la Bastille.


– Comment, les visites sont rares ?


– Très rares.


– Même de la part de votre société ?


– Qu’appelez-vous de ma société ?… Mes prisonniers ?


– Oh ! non. Vos prisonniers !… Je sais que c’est vous qui leur faites des visites, et non pas eux qui vous en font. J’entends par votre société, mon cher de Baisemeaux, la société dont vous faites partie.


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Baisemeaux regarda fixement Aramis ; puis, comme si ce qu’il avait supposé un instant était impossible :


– Oh ! dit-il, j’ai bien peu de société à présent. S’il faut que je vous l’avoue, cher monsieur d’Herblay, en général, le séjour de la Bastille paraît sauvage et fastidieux aux gens du monde. Quant aux dames, ce n’est jamais sans un certain effroi, que j’ai toutes les peines de la terre à calmer, qu’elles parviennent jusqu’à moi. En effet, comment ne trembleraient-elles pas un peu, pauvres femmes, en voyant ces tristes donjons, et en pensant qu’ils sont habités par de pauvres prisonniers qui…


Et, au fur et à mesure que les yeux de Baisemeaux se fixaient sur le visage d’Aramis, la langue du bon gouverneur s’embarrassait de plus en plus, si bien qu’elle finit par se paralyser tout à fait.


– Non, vous ne comprenez pas, mon cher monsieur de Baisemeaux, dit Aramis, vous ne comprenez pas… Je ne veux point parler de la société en général, mais d’une société particulière, de la société à laquelle vous êtes affilié, enfin.


Baisemeaux laissa presque tomber le verre plein de muscat qu’il allait porter à ses lèvres.


– Affilié ? dit-il, affilié ?


– Mais sans doute, affilié, répéta Aramis avec le plus grand sang-froid. N’êtes-vous donc pas membre d’une société secrète, mon cher monsieur de Baisemeaux ?


– Secrète ?


– Secrète ou mystérieuse.


– Oh ! monsieur d’Herblay !…


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– Voyons, ne vous défendez pas.


– Mais croyez bien…


– Je crois ce que je sais.


– Je vous jure !…


– Écoutez-moi, cher monsieur de Baisemeaux, je dis oui, vous dites non ; l’un de nous est nécessairement dans le vrai, et l’autre inévitablement dans le faux.


– Eh bien ?


– Eh bien ! nous allons tout de suite nous reconnaître.


– Voyons, dit Baisemeaux, voyons.


– Buvez donc votre verre de muscat, cher monsieur de Baisemeaux, dit Aramis. Que diable ! vous avez l’air tout effaré.


– Mais non, pas le moins du monde, non.


– Buvez, alors.


Baisemeaux but, mais il avala de travers.