Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 53


– Oui, murmura-t-il, oui, je me souviens parfaitement. La femme dont vous parlez vint une fois avec vous, et deux autres fois avec la femme…


Il s’arrêta.


– Avec la femme qui venait vous voir tous les mois, n’est-ce pas, monseigneur ?


– Oui.

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– Savez-vous quelle était cette dame ?


Un éclair parut près de jaillir de l’œil du prisonnier.


– Je sais que c’était une dame de la Cour, dit-il.


– Vous vous la rappelez bien, cette dame ?


– Oh ! mes souvenirs ne peuvent être bien confus sous ce rapport, dit le jeune prisonnier ; j’ai vu une fois cette dame avec un homme de quarante-cinq ans, à peu près, j’ai vu une fois cette dame avec vous et avec la dame à la robe noire et aux rubans couleur de feu ; je l’ai revue deux fois depuis avec la même personne. Ces quatre personnes avec mon gouverneur et la vieille Perronnette, mon geôlier et le gouverneur, sont les seules personnes à qui j’aie jamais parlé, et, en vérité, presque les seules personnes que j’aie jamais vues.


– Mais vous étiez donc en prison ?


– Si je suis en prison ici, relativement j’étais libre là-bas, quoique ma liberté fût bien restreinte ; une maison d’où je ne sortais pas, un grand jardin entouré de murs que je ne pouvais franchir : c’était ma demeure ; vous la connaissez, puisque vous y êtes venu. Au reste, habitué à vivre dans les limites de ces murs et de cette maison, je n’ai jamais désiré en sortir. Donc, vous comprenez, monsieur, n’ayant rien vu de ce monde je ne puis rien désirer, et, si vous me racontez quelque chose, vous serez forcé de tout m’expliquer.


– Ainsi ferai-je, monseigneur, dit Aramis en s’inclinant ; car c’est mon devoir.


– Eh bien ! commencez donc par me dire ce qu’était mon gouverneur.

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– Un bon gentilhomme, monseigneur, un honnête gentilhomme surtout, un précepteur à la fois pour votre corps et pour votre âme.

Avez-vous jamais eu à vous en plaindre ?


– Oh ! non, monsieur, bien au contraire ; mais ce gentilhomme m’a dit souvent que mon père et ma mère étaient morts ; ce gentilhomme mentait-il ou disait-il la vérité ?


– Il était forcé de suivre les ordres qui lui étaient donnés.


– Alors il mentait donc ?


– Sur un point. Votre père est mort.


– Et ma mère ?


– Elle est morte pour vous.


– Mais, pour les autres, elle vit, n’est-ce pas ?


– Oui.


– Et moi, le jeune homme regarda Aramis, moi, je suis condamné à vivre dans l’obscurité d’une prison ?


– Hélas ! je le crois.


– Et cela, continua le jeune homme, parce que ma présence dans le monde révélerait un grand secret ?


– Un grand secret, oui.