Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 66


– Monseigneur, attendez pour me juger, dit Aramis.


– J’ai dit que je vous bénissais et que je vous pardonnais. Si, au contraire, vous êtes venu pour me rendre la place que Dieu m’avait destinée au soleil de la fortune et de la gloire, si, grâce à vous, je puis vivre dans la mémoire des hommes, et faire honneur à ma race par quelques faits illustres ou quelques services rendus à mes peuples, si, du dernier rang où je languis, je m’élève au faîte des honneurs, soutenu par votre main généreuse, eh bien ! à vous que

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je bénis et que je remercie, à vous la moitié de ma puissance et de ma gloire ! Vous serez encore trop peu payé ; votre part sera toujours incomplète, car jamais je ne réussirai à partager avec vous tout ce bonheur que vous m’aurez donné.


– Monseigneur, dit Aramis ému de la pâleur et de l’élan du jeune homme, votre noblesse de cœur me pénètre de joie et d’admiration. Ce n’est pas à vous de me remercier, ce sera surtout aux peuples que vous rendrez heureux, à vos descendants que vous rendrez illustres. Oui, je vous aurai donné plus que la vie, je vous donnerai l’immortalité.


Le jeune homme tendit la main à Aramis : celui-ci la baisa en s’agenouillant.


– Oh ! s’écria le prince avec une modestie charmante.


– C’est le premier hommage rendu à notre roi futur, dit Aramis. Quand je vous reverrai, je dirai : « Bonjour, Sire ! »


– Jusque-là, s’écria le jeune homme en appuyant ses doigts blancs et amaigris sur son cœur, jusque-là plus de rêves, plus de chocs à ma vie ; elle se briserait ! oh ! monsieur, que ma prison est petite et que cette fenêtre est basse, que ces portes sont étroites !

Comment tant d’orgueil, tant de splendeur, tant de félicité a-t-il pu passer par là et tenir ici ?


– Votre Altesse Royale me rend fier, dit Aramis, puisqu’elle prétend que c’est moi qui ai apporté tout cela.


Il heurta aussitôt la porte.


Le geôlier vint ouvrir avec Baisemeaux, qui, dévoré d’inquiétude et de crainte, commençait à écouter malgré lui à la porte de la chambre.


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Heureusement ni l’un ni l’autre des deux interlocuteurs n’avait oublié d’étouffer sa voix, même dans les plus hardis élans de la passion.


– Quelle confession ! dit le gouverneur en essayant de rire ; croirait-on jamais qu’un reclus, un homme presque mort, ait commis des péchés si nombreux et si longs ?


Aramis se tut. Il avait hâte de sortir de la Bastille, où le secret qui l’accablait doublait le poids des murailles.


Quand ils furent arrivés chez Baisemeaux :