Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 65


– À la bonne heure !


– Il pouvait venir lui-même en cette prison, me prendre la main et me dire : « Mon frère, Dieu nous a créés pour nous aimer, non pour nous combattre. Je viens à vous. Un préjugé sauvage vous condamnait à périr obscurément loin de tous les hommes, privé de toutes les joies. Je veux vous faire asseoir près de moi ; je veux vous attacher au côté l’épée de notre père. Profiterez-vous de ce rapprochement pour m’étouffer ou me contraindre ? Userez-vous de cette épée pour verser mon sang ?… »


– « Oh ! non, lui eussé-je répondu : je vous regarde comme mon sauveur, et vous respecterai comme mon maître. Vous me donnez bien plus que ne m’avait donné Dieu. Par vous, j’ai la liberté ; par vous, j’ai le droit d’aimer et d’être aimé en ce monde. »


– Et vous eussiez tenu parole, monseigneur ?


– Oh ! sur ma vie !


– Tandis que maintenant ?…


– Tandis que, maintenant, je sens que j’ai des coupables à punir…


– 141 –


– De quelle façon, monseigneur ?


– Que dites-vous de cette ressemblance que Dieu m’avait donnée avec mon frère ?


– Je dis qu’il y avait dans cette ressemblance un enseignement providentiel que le roi n’eût pas dû négliger, je dis que votre mère a commis un crime en faisant différents par le bonheur et par la fortune ceux que la nature avait créés si semblables dans son sein, et je conclus, moi, que le châtiment ne doit être autre chose que l’équilibre à rétablir.


– Ce qui signifie ?…


– Que, si je vous rends votre place sur le trône de votre frère, votre frère prendra la vôtre dans votre prison.


– Hélas ! on souffre bien en prison ! surtout quand on a bu si largement à la coupe de la vie !


– Votre Altesse Royale sera toujours libre de faire ce qu’elle voudra : elle pardonnera, si bon lui semble, après avoir puni.


– Bien. Et maintenant, savez-vous une chose, monsieur ?


– Dites, mon prince.


– C’est que je n’écouterai plus rien de vous que hors de la Bastille.


– J’allais dire à Votre Altesse Royale que je n’aurai plus l’honneur de la voir qu’une fois.


– Quand cela ?


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– Le jour où mon prince sortira de ces murailles noires.


– Dieu vous entende ! Comment me préviendrez-vous ?


– En venant ici vous chercher.


– Vous-même ?


– Mon prince, ne quittez cette chambre qu’avec moi, ou, si l’on vous contraint en mon absence, rappelez-vous que ce ne sera pas de ma part.


– Ainsi, pas un mot à qui que ce soit, si ce n’est à vous ?


– Si ce n’est à moi.


Aramis s’inclina profondément. Le prince lui tendit la main.


– Monsieur, dit-il avec un accent qui jaillissait du cœur, j’ai un dernier mot à vous dire. Si vous vous êtes adressé à moi pour me perdre, si vous n’avez été qu’un instrument aux mains de mes ennemis, si de notre conférence, dans laquelle vous avez sondé mon cœur il résulte pour moi quelque chose de pire que la captivité, c’est-à-dire la mort, eh bien ! soyez béni, car vous aurez terminé mes peines et fait succéder le calme aux fiévreuses tortures dont je suis dévoré depuis huit ans.