Мост Мирабо [билингва] (Аполлинер) - страница 42

Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants
A l'avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d'une robe jaune
D'un corsage noir
Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris
Orné d'une seule petite plume défrisée
Je vous aime
Disait-il
Comme le pigeon aime la colombe
Comme l'insecte nocturne
Aime la lumière
Trop tard
Répondait la vivante
Repoussez repoussez cet amour défendu
Je suis mariée
Voyez l'anneau qui brille
Mes mains tremblent
Je pleure et je voudrais mourir
Les barques étaient arrivées
A un endroit оù les chevau-légers
Savaient qu'un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l'interroger
Il у eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleines d'à-propos
Que c'était à mourir de lire
Et le mort disait à la vivante
Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l'еаu se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra
On reprit terre et ce fut le retour
Les amoureux s'entr'aimaient
Et par couples aux belles bouches
Marchaient à distances inégales
Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes
Un genévrier parfois
Faisait l'effet d'un fantôme
Les enfants déchiraient l'air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne
Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
A demain
A bientôt
Beaucoup entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour у acheter leur repas du soir
Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s'en allaient tout droit
Au cimetière
Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés
Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines
Ils ne se doutaient pas
De ce qui s 'était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir
С'était un bonheur inespéré
Et si certain
Qu'ils ne craignaient point de le perdre
Ils vivaient si noblement
Que ceux qui la veille encore
Les regardaient comme leurs égaux
Ou même quelque chose de moins
Admiraient maintenant
Leur puissance leur richesse et leur génie
Car у a-t-il rien qui vous élève
Comme d'avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu'on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
A se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l'on n'a plus besoin de personne

Дом мертвых[39]

Морису Рейналю[40]

Дом мертвых стоял у кладбища
Примостившись к нему подобно монастырю
За его большими стеклами
Похожими на витрины модных лавок