Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 108

– Raoul, vous vous méprenez sur mon importance ; il n'est point convenable qu'un simple gentilhomme comme moi écrive à son roi. Je veux et je dois parler à Sa Majesté. Je le ferai. Nous partirons ensemble, Raoul.

– Oh ! que de bontés, monsieur !

– Comment croyez-vous Sa Majesté disposée ?

– Pour moi, monsieur ?

– Oui.

– Oh ! parfaitement.

– Elle vous l'a dit ?

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– De sa propre bouche.

– À quelle occasion ?

– Mais sur une recommandation de M. d'Artagnan, je crois, et à propos d'une affaire en Grève où j'ai eu le bonheur de tirer l'épée pour Sa Majesté. J'ai donc lieu de me croire, sans amour-propre, assez avancé dans l'esprit de Sa Majesté.

– Tant mieux !

– Mais, je vous en conjure, continua Raoul, ne gardez point avec moi ce sérieux et cette discrétion, ne me faites pas regretter d'avoir écouté un sentiment plus fort que tout.

– C'est la seconde fois que vous me le dites, Raoul, cela n'était point nécessaire ; vous voulez une formalité de consentement, je vous le donne, c'est acquis, n'en parlons plus. Venez voir mes nouvelles plantations, Raoul.

Le jeune homme savait qu'après l'expression d'une volonté du comte, il n'y avait plus de place pour la controverse. Il baissa la tête et suivit son père au jardin. Athos lui montra lentement les greffes, les pousses et les quinconces.

Cette tranquillité déconcertait de plus en plus Raoul ; l'amour qui remplissait son cœur lui semblait assez grand pour que le monde pût le contenir à peine. Comment le cœur d'Athos restait-il vide et fermé à cette influence ?

Aussi Bragelonne, rassemblant toutes ses forces, s'écria-t-il tout à coup :

– Monsieur, il est impossible que vous n'ayez pas quelque raison de repousser Mlle de La Vallière, elle est si bonne, si douce, si pure, que votre esprit, plein d'une suprême sagesse, devrait l'appré-

cier à sa valeur. Au nom du Ciel ! existe-t-il entre vous et sa famille quelque secrète inimitié, quelque haine héréditaire ?

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– Voyez, Raoul, la belle planche de muguet, dit Athos, voyez comme l'ombre et l'humidité lui vont bien, cette ombre surtout des feuilles de sycomore, par l'échancrure desquelles filtre la chaleur et non la flamme du soleil.

Raoul s'arrêta, se mordit les lèvres ; puis, sentant le sang affluer à ses tempes :

– Monsieur, dit-il bravement, une explication, je vous en supplie ; vous ne pouvez oublier que votre fils est un homme.

– Alors, répondit Athos en se redressant avec sévérité, alors prouvez-moi que vous êtes un homme, car vous ne prouvez point que vous êtes un fils. Je vous priais d'attendre le moment d'une illustre alliance, je vous eusse trouvé une femme dans les premiers rangs de la riche noblesse ; je voulais que vous pussiez briller de ce double éclat que donnent la gloire et la fortune : vous avez la noblesse de la race.