Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 17

Le repas fut long et somptueux ; d'excellent vin d'Espagne, de belles huîtres du Morbihan, les poissons exquis de l'embouchure de la Loire, les énormes chevrettes de Paimbœuf et le gibier délicat des bruyères en firent les frais.

D'Artagnan mangea beaucoup et but peu. Aramis ne but pas du tout, ou du moins ne but que de l'eau. Puis après le déjeuner :

– Vous m'avez offert une arquebuse ? dit d'Artagnan.

– Oui.

– Prêtez-la-moi.

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– Vous voulez chasser ?

– En attendant Porthos, c'est ce que j'ai de mieux à faire, je crois.

– Prenez celle que vous voudrez au trophée.

– Venez-vous avec moi ?

– Hélas ! cher ami, ce serait avec grand plaisir, mais la chasse est défendue aux évêques.

– Ah ! dit d'Artagnan, je ne savais pas.

– D'ailleurs, continua Aramis, j'ai affaire jusqu'à midi.

– J'irai donc seul ? dit d'Artagnan.

– Hélas ! oui ! mais revenez dîner surtout.

– Pardieu ! on mange trop bien chez vous pour que je n'y revienne pas.

Et là-dessus d'Artagnan quitta son hôte, salua les convives, prit son arquebuse, mais, au lieu de chasser, courut tout droit au petit port de Vannes.

Il regarda en vain si on le suivait ; il ne vit rien ni personne.

Il fréta un petit bâtiment de pêche pour vingt-cinq livres et partit à onze heures et demie, convaincu qu'on ne l'avait pas suivi.

On ne l'avait pas suivi, c'était vrai. Seulement, un frère jésuite, placé au haut du clocher de son église, n'avait pas, depuis le matin, à l'aide d'une excellente lunette, perdu un seul de ses pas. À onze heures trois quarts, Aramis était averti que d'Artagnan voguait vers Belle-Île.

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Le voyage de d'Artagnan fut rapide : un bon vent nord-nord-est le poussait vers Belle-Île.

Au fur et à mesure qu'il approchait, ses yeux interrogeaient la côte. Il cherchait à voir, soit sur le rivage, soit au-dessus des fortifications, l'éclatant habit de Porthos et sa vaste stature se détachant sur un ciel légèrement nuageux.

D'Artagnan cherchait inutilement ; il débarqua sans avoir rien vu, et apprit du premier soldat interrogé par lui que M. du Vallon n'était point encore revenu de Vannes.

Alors, sans perdre un instant, d'Artagnan ordonna à sa petite barque de mettre le cap sur Sarzeau.

On sait que le vent tourne avec les différentes heures de la journée ; le vent était passé du nord-nord-est au sud-est ; le vent était donc presque aussi bon pour le retour à Sarzeau qu'il l'avait été pour le voyage de Belle-Île. En trois heures, d'Artagnan eut touché le continent ; deux autres heures lui suffirent pour gagner Vannes.

Malgré la rapidité de la course, ce que d'Artagnan dévora d'impatience et de dépit pendant cette traversée, le pont seul du bateau sur lequel il trépigna pendant trois heures pourrait le raconter à l'histoire. D'Artagnan ne fit qu'un bond du quai où il était débarqué au palais épiscopal.