Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 20

– Bien ; maintenant, voici ce dont il s'agit, monseigneur. Vous avez vu M. d'Artagnan à Paris, n'est-ce pas ?

– Certes, et c'est un homme d'esprit et même un homme de cœur, bien qu'il m'ait fait tuer nos chers amis Lyodot et d'Emerys.

– Hélas ! oui, je le sais ; j'ai rencontré à Tours le courrier qui m'apportait la lettre de Gourville et les dépêches de Pellisson. Avez-vous bien réfléchi à cet événement, monsieur ?

– Oui.

– Et vous avez compris que c'était une attaque directe à votre souveraineté ?

– Croyez-vous ?

– Oh ! oui, je le crois.

– Eh bien ! je vous l'avouerai, cette sombre idée m'est venue, à moi aussi.

– Ne vous aveuglez pas, monsieur, au nom du Ciel, écoutez bien… j'en reviens à d'Artagnan.

– J'écoute.

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– Dans quelle circonstance l'avez-vous vu ?

– Il est venu chercher de l'argent.

– Avec quelle ordonnance ?

– Avec un bon du roi.

– Direct ?

– Signé de Sa Majesté.

– Voyez-vous ! Eh bien ! d'Artagnan est venu à Belle-Île ; il était déguisé, il passait pour un intendant quelconque chargé par son maître d'acheter des salines. Or, d'Artagnan n'a pas d'autre maître que le roi ; il venait donc comme envoyé du roi. Il a vu Porthos.

– Qu'est-ce que Porthos ?

– Pardon, je me trompe. Il a vu M. du Vallon à Belle-Île, et il sait, comme vous et moi, que Belle-Île est fortifiée.

– Et vous croyez que le roi l'aurait envoyé ? dit Fouquet tout pensif.

– Assurément.

– Et d'Artagnan aux mains du roi est un instrument dangereux ?

– Le plus dangereux de tous.

– Je l'ai donc bien jugé du premier coup d'œil.

– Comment cela ?

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– J'ai voulu me l'attacher.

– Si vous avez jugé que ce fût l'homme de France le plus brave, le plus fin et le plus adroit, vous l'avez bien jugé.

– Il faut donc l'avoir à tout prix !

– D'Artagnan ?

– N'est-ce pas votre avis ?

– C'est mon avis ; mais vous ne l'aurez pas.

– Pourquoi ?

– Parce que nous avons laissé passer le temps. Il était en dissentiment avec la cour, il fallait profiter de ce dissentiment ; depuis il a passé en Angleterre, depuis il a puissamment contribué à la restauration, depuis il a gagné une fortune, depuis enfin il est rentré au service du roi. Eh bien ! s'il est rentré au service du roi, c'est qu'on lui a bien payé ce service.

– Nous le paierons davantage, voilà tout.

– Oh ! monsieur, permettez ; d'Artagnan a une parole, et, une fois engagée, cette parole demeure où elle est.

– Que concluez-vous de cela ? dit Fouquet avec inquiétude.

– Que pour le moment il s'agit de parer un coup terrible.

– Et comment le parez-vous ?