Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 21

– Attendez… d'Artagnan va venir rendre compte au roi de sa mission.

– Oh ! nous avons le temps d'y penser.

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– Comment cela ?

– Vous avez bonne avance sur lui, je présume ?

– Dix heures à peu près.

– Eh bien ! en dix heures…

Aramis secoua sa tête pâle.

– Voyez ces nuages qui courent au ciel, ces hirondelles qui fendent l'air : d'Artagnan va plus vite que le nuage et que l'oiseau ; d'Artagnan, c'est le vent qui les emporte.

– Allons donc !

– Je vous dis que c'est quelque chose de surhumain que cet homme, monsieur ; il est de mon âge, et je le connais depuis trente-cinq ans.

– Eh bien ?

– Eh bien ! écoutez mon calcul, monsieur : je vous ai expédié M. du Vallon à deux heures de la nuit ; M. du Vallon avait huit heures d'avance sur moi. Quand M. du Vallon est-il arrivé ?

– Voilà quatre heures, à peu près.

– Vous voyez bien, j'ai gagné quatre heures sur lui, et cependant c'est un rude cavalier que Porthos, et cependant il a tué sur la route huit chevaux dont j'ai retrouvé les cadavres. Moi, j'ai couru la poste cinquante lieues, mais j'ai la goutte, la gravelle, que sais-je ?

de sorte que la fatigue me tue. J'ai dû descendre à Tours ; depuis, roulant en carrosse à moitié mort, à moitié versé, souvent traîné sur les flancs, parfois sur le dos de la voiture, toujours au galop de quatre chevaux furieux, je suis arrivé, arrivé gagnant quatre heures sur Porthos ; mais, voyez-vous, d'Artagnan ne pèse pas trois cents livres comme Porthos, d'Artagnan n'a pas la goutte et la gravelle

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comme moi : ce n'est pas un cavalier, c'est un centaure ; d'Artagnan, voyez-vous, parti pour Belle-Île quand je partais pour Paris, d'Artagnan, malgré dix heures d'avance que j'ai sur lui, d'Artagnan arrivera deux heures après moi.

– Mais enfin, les accidents ?

– Il n'y a pas d'accidents pour lui.

– Si les chevaux manquent ?

– Il courra plus vite que les chevaux.

– Quel homme, bon Dieu !

– Oui, c'est un homme que j'aime et que j'admire ; je l'aime, parce qu'il est bon, grand, loyal ; je l'admire, parce qu'il représente pour moi le point culminant de la puissance humaine ; mais, tout en l'aimant, tout en l'admirant, je le crains et je le prévois. Donc, je me résume, monsieur : dans deux heures, d'Artagnan sera ici ; prenez les devants, courez au Louvre, voyez le roi avant qu'il voie d'Artagnan.

– Que dirai-je au roi ?

– Rien ; donnez-lui Belle-Île.

– Oh ! monsieur d'Herblay, monsieur d'Herblay ! s'écria Fouquet, que de projets manqués tout à coup !

– Après un projet avorté, il y a toujours un autre projet que l'on peut mener à bien ! Ne désespérons jamais, et allez, monsieur, allez vite.