Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 26

Les courtisans sont, pour les bruits de cour, comme les vieux soldats qui distinguent, à travers les rumeurs du vent et des feuillages, le retentissement lointain des pas d'une troupe armée ; ils peuvent, après avoir écouté, dire à peu près combien d'hommes marchent, combien d'armes résonnent, combien de canons roulent.

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Fouquet n'eut donc qu'à interroger le silence qui s'était fait à son arrivée : il le trouva gros de menaçantes révélations. Le roi lui laissa tout le temps de s'avancer jusqu'au milieu de la chambre.

Sa pudeur adolescente lui commandait cette abstention du moment.

Fouquet saisit hardiment l'occasion.

– Sire, dit-il, j'étais impatient de voir Votre Majesté.

– Et pourquoi ? demanda Louis.

– Pour lui annoncer une bonne nouvelle.

Colbert, moins la grandeur de la personne, moins la largesse du cœur, ressemblait en beaucoup de points à Fouquet. Même pé-

nétration, même habitude des hommes. De plus, cette grande force de contraction, qui donne aux hypocrites le temps de réfléchir et de se ramasser pour prendre du ressort.

Il devina que Fouquet marchait au-devant du coup qu'il allait lui porter.

Ses yeux brillèrent.

– Quelle nouvelle ? demanda le roi.

Fouquet déposa un rouleau de papier sur la table.

– Que Votre Majesté veuille bien jeter les yeux sur ce travail, dit-il.

Le roi déplia lentement le rouleau.

– Des plans ? dit-il.

– Oui, Sire.

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– Et quels sont ces plans ?

– Une fortification nouvelle, Sire.

– Ah ! ah ! fit le roi, vous vous occupez donc de tactique et de stratégie, monsieur Fouquet.

– Je m'occupe de tout ce qui peut être utile au règne de Votre Majesté, répliqua Fouquet.

– Belles images ! dit le roi en regardant le dessin.

– Votre Majesté comprend sans doute, dit Fouquet en s'inclinant sur le papier : ici est la ceinture de murailles, là les forts, là les ouvrages avancés.

– Et que vois-je là, monsieur ?

– La mer.

– La mer tout autour ?

– Oui, Sire.

– Et quelle est donc cette place dont vous me montrez le plan ?

– Sire, c'est Belle-Île-en-Mer, répondit Fouquet avec simplicité.

À ce mot, à ce nom, Colbert fit un mouvement si marqué que le roi se retourna pour lui recommander la réserve. Fouquet ne parut pas s'être ému le moins du monde du mouvement de Colbert, ni du signe du roi.

– Monsieur, continua Louis, vous avez donc fait fortifier Belle-

Île ?

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– Oui, Sire, et j'en apporte les devis et les comptes à Votre Majesté, répliqua Fouquet ; j'ai dépensé seize cent mille livres à cette opération.

– Pour quoi faire ? répliqua froidement Louis qui avait puisé de l'initiative dans un regard haineux de l'intendant.