Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 31

– Monsieur, dit-il au bout d'un instant, non seulement Belle-

Île m'est connue, mais encore Belle-Île est à moi.

– C'est bon, c'est bon, Sire ; je ne vous en demande pas davantage, répondit d'Artagnan. Mon congé !

– Comment ! votre congé ?

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– Sans doute. Je suis trop fier pour manger le pain du roi sans le gagner, ou plutôt pour le gagner mal. Mon congé, Sire !

– Oh ! oh !

– Mon congé, ou je le prends.

– Vous vous fâchez, monsieur ?

– Il y a de quoi, mordioux ! Je reste en selle trente-deux heures, je cours jour et nuit, je fais des prodiges de vitesse, j'arrive roide comme un pendu, et un autre est arrivé avant moi ! Allons ! je suis un niais. Mon congé, Sire !

– Monsieur d'Artagnan, dit Louis XIV en appuyant sa main blanche sur le bras poudreux du mousquetaire, ce que je viens de vous dire ne nuira en rien à ce que je vous ai promis. Parole donnée, parole tenue.

Et le jeune roi, allant droit à sa table, ouvrit un tiroir et y prit un papier plié en quatre.

– Voici votre brevet de capitaine des mousquetaires ; vous l'avez gagné, dit-il, monsieur d'Artagnan.

D'Artagnan ouvrit vivement le papier et le regarda à deux fois.

Il ne pouvait en croire ses yeux.

– Et ce brevet, continua le roi, vous est donné, non seulement pour votre voyage à Belle-Île, mais encore pour votre brave intervention à la place de Grève. Là, en effet, vous m'avez servi bien vaillamment.

– Ah ! ah ! dit d'Artagnan, sans que sa puissance sur lui-même pût empêcher une certaine rougeur de lui monter aux yeux ; vous savez aussi cela, Sire ?

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– Oui, je le sais.

Le roi avait le regard perçant et le jugement infaillible, quand il s'agissait de lire dans une conscience.

– Vous avez quelque chose, dit-il au mousquetaire, quelque chose à dire et que vous ne dites pas. Voyons, parlez franchement, monsieur : vous savez que je vous ai dit, une fois pour toutes, que vous aviez toute franchise avec moi.

– Eh bien ! Sire, ce que j'ai, c'est que j'aimerais mieux être nommé capitaine des mousquetaires pour avoir chargé à la tête de ma compagnie, fait taire une batterie ou pris une ville, que pour avoir fait pendre deux malheureux.

– Est-ce bien vrai, ce que vous me dites là ?

– Et pourquoi Votre Majesté me soupçonnerait-elle de dissimulation, je le lui demande ?

– Parce que, si je vous connais bien, monsieur, vous ne pouvez vous repentir d'avoir tiré l'épée pour moi.

– Eh bien ! c'est ce qui vous trompe, Sire, et grandement ; oui, je me repens d'avoir tiré l'épée à cause des résultats que cette action a amenés ; ces pauvres gens qui sont morts, Sire, n'étaient ni vos ennemis ni les miens, et ils ne se défendaient pas.