Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 32

Le roi garda un moment le silence.

– Et votre compagnon, monsieur d'Artagnan, partage-t-il votre repentir ?

– Mon compagnon ?

– Oui, vous n'étiez pas seul, ce me semble.

– Seul ? où cela ?

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– À la place de Grève.

– Non, Sire, non, dit d'Artagnan, rougissant au soupçon que le roi pouvait avoir l'idée que lui, d'Artagnan, avait voulu accaparer pour lui seul la gloire qui revenait à Raoul ; non, mordioux ! et, comme dit Votre Majesté ? j'avais un compagnon, et même un bon compagnon.

– Un jeune homme ?

– Oui, Sire, un jeune homme. Oh ! mais j'en fais compliment à Votre Majesté, elle est aussi bien informée du dehors que du dedans. C'est M. Colbert qui fait au roi tous ces beaux rapports ?

– M. Colbert ne m'a dit que du bien de vous, monsieur d'Artagnan, et il eût été malvenu à m'en dire autre chose.

– Ah ! c'est heureux !

– Mais il a dit aussi beaucoup de bien de ce jeune homme.

– Et c'est justice, dit le mousquetaire.

– Enfin, il paraît que ce jeune homme est un brave, dit Louis XIV, pour aiguiser ce sentiment qu'il prenait pour du dépit.

– Un brave, oui, Sire, répéta d'Artagnan, enchanté, de son côté, de pousser le roi sur le compte de Raoul.

– Savez-vous son nom ?

– Mais je pense…

– Vous le connaissez donc ?

– Depuis à peu près vingt-cinq ans, oui, Sire.

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– Mais il a vingt-cinq ans à peine ! s'écria le roi.

– Eh bien ! Sire, je le connais depuis sa naissance, voilà tout.

– Vous m'affirmez cela ?

– Sire, dit d'Artagnan, Votre Majesté m'interroge avec une dé-

fiance dans laquelle je reconnais un tout autre caractère que le sien.

M. Colbert, qui vous a si bien instruit, a-t-il donc oublié de vous dire que ce jeune homme était le fils de mon ami intime ?

– Le vicomte de Bragelonne ?

– Eh ! certainement, Sire : le vicomte de Bragelonne a pour père M. le comte de La Fère, qui a si puissamment aidé à la restauration du roi Charles II. Oh ! Bragelonne est d'une race de vaillants, Sire.

– Alors il est le fils de ce seigneur qui m'est venu trouver, ou plutôt qui est venu trouver M. de Mazarin, de la part du roi Charles II, pour nous offrir son alliance ?

– Justement.

– Et c'est un brave que ce comte de La Fère, dites-vous ?

– Sire, c'est un homme qui a plus de fois tiré l'épée pour le roi votre père qu'il n'y a encore de jours dans la vie bienheureuse de Votre Majesté.

Ce fut Louis XIV qui se mordit les lèvres à son tour.

– Bien, monsieur d'Artagnan, bien ! Et M. le comte de La Fère est votre ami ?

– Mais depuis tantôt quarante ans, oui ; Sire. Votre Majesté voit que je ne lui parle pas d'hier.