Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 33

– 70 –


– Seriez-vous content de voir ce jeune homme, monsieur d'Artagnan ?

– Enchanté, Sire.

Le roi frappa sur son timbre. Un huissier parut.

– Appelez M. de Bragelonne, dit le roi.

– Ah ! ah ! il est ici ? dit d'Artagnan.

– Il est de garde aujourd'hui au Louvre avec la compagnie des gentilshommes de M. le Prince.

Le roi achevait à peine, quand Raoul se présenta, et, voyant d'Artagnan, lui sourit de ce charmant sourire qui ne se trouve que sur les lèvres de la jeunesse.

– Allons, allons, dit familièrement d'Artagnan à Raoul, le roi permet que tu m'embrasses ; seulement, dis à Sa Majesté que tu la remercies.

Raoul s'inclina si gracieusement, que Louis, à qui toutes les su-périorités savaient plaire lorsqu'elles n'affectaient rien contre la sienne, admira cette beauté, cette vigueur et cette modestie.

– Monsieur, dit le roi s'adressant à Raoul, j'ai demandé à M. le prince qu'il veuille bien vous céder à moi ; j'ai reçu sa réponse ; vous m'appartenez donc dès ce matin. M. le prince était bon maître ; mais j'espère bien que vous ne perdrez pas au change.

– Oui, oui, Raoul, sois tranquille, le roi a du bon, dit d'Artagnan, qui avait deviné le caractère de Louis et qui jouait avec son amour-propre dans certaines limites, bien entendu, réservant toujours les convenances et flattant, lors même qu'il semblait railler.

– 71 –


– Sire, dit alors Bragelonne d'une voix douce et pleine de charmes, avec cette élocution naturelle et facile qu'il tenait de son père ; Sire, ce n'est point d'aujourd'hui que je suis à Votre Majesté.

– Oh ! je sais cela, dit le roi, et vous voulez parler de votre ex-pédition de la place de Grève. Ce jour-là, en effet, vous fûtes bien à moi, monsieur.

– Sire, ce n'est point non plus de ce jour que je parle ; il ne me siérait point de rappeler un service si minime en présence d'un homme comme M. d'Artagnan ; je voulais parler d'une circonstance qui a fait époque dans ma vie et qui m'a consacré, dès l'âge de seize ans, au service dévoué de Votre Majesté.

– Ah ! ah ! dit le roi, et quelle est cette circonstance, dites, monsieur ?

– La voici… Lorsque je partis pour ma première campagne, c'est-à-dire pour rejoindre l'armée de M. le prince, M. le comte de La Fère me vint conduire jusqu'à Saint-Denis, où les restes du roi Louis XIII attendent, sur les derniers degrés de la basilique funèbre, un successeur que Dieu ne lui enverra point, je l'espère avant longues années. Alors il me fit jurer sur la cendre de nos maîtres de servir la royauté, représentée par vous, incarnée en vous, Sire, de la servir en pensées, en paroles et en action. Je jurai, Dieu et les morts ont reçu mon serment. Depuis dix ans, Sire, je n'ai point eu aussi souvent que je l'eusse désiré l'occasion de le tenir : je suis un soldat de Votre Majesté, pas autre chose, et en m'appelant près d'elle, elle ne me fait pas changer de maître, mais seulement de garnison.