Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 5

– Si fait, je le savais, dit-il ; mais j'ai voulu voir.

– Voir quoi ?

– Si notre vieille amitié tenait toujours ; si, en nous voyant, notre cœur, tout racorni qu'il est par l'âge, laissait encore échapper ce bon cri de joie qui salue la venue d'un ami.

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– Eh bien ! vous avez dû être satisfait ? demanda Aramis.

– Couci-couci.

– Comment cela ?

– Oui, Porthos m'a dit : « Chut ! » et vous…

– Eh bien ! et moi ?

– Et vous, vous m'avez donné votre bénédiction.

– Que voulez-vous ! mon ami, dit en souriant Aramis, c'est ce qu'un pauvre prélat comme moi a de plus précieux.

– Allons donc, mon cher ami.

– Sans doute.

– On dit cependant à Paris que l'évêché de Vannes est un des meilleurs de France.

– Ah ! vous voulez parler des biens temporels ? dit Aramis d'un air détaché.

– Mais certainement j'en veux parler. J'y tiens, moi.

– En ce cas, parlons-en, dit Aramis avec un sourire.

– Vous avouez être un des plus riches prélats de France ?

– Mon cher, puisque vous me demandez mes comptes, je vous dirai que l'évêché de Vannes vaut vingt mille livres de rente, ni plus ni moins. C'est un diocèse qui renferme cent soixante paroisses.

– C'est fort joli, dit d'Artagnan.

– C'est superbe, dit Porthos.

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– Mais cependant, reprit d'Artagnan en couvrant Aramis du regard, vous ne vous êtes pas enterré ici à jamais ?

– Pardonnez-moi. Seulement je n'admets pas le mot enterré.

– Mais il me semble qu'à cette distance de Paris on est enterré, ou peu s'en faut.

– Mon ami, je me fais vieux, dit Aramis ; le bruit et le mouvement de la ville ne me vont plus.

« À cinquante-sept ans, on doit chercher le calme et la méditation. Je les ai trouvés ici. Quoi de plus beau et de plus sévère à la fois que cette vieille Armorique ? Je trouve ici, cher d'Artagnan, tout le contraire de ce que j'aimais autrefois, et c'est ce qu'il faut à la fin de la vie, qui est le contraire du commencement. Un peu de mon plaisir d'autrefois vient encore m'y saluer de temps en temps sans me distraire de mon salut. Je suis encore de ce monde, et cependant, à chaque pas que je fais, je me rapproche de Dieu.

– Éloquent, sage, discret, vous êtes un prélat accompli, Aramis, et je vous félicite.

– Mais, dit Aramis en souriant, vous n'êtes pas seulement venu, cher ami, pour me faire des compliments… Parlez, qui vous amène ? Serais-je assez heureux pour que, d'une façon quelconque, vous eussiez besoin de moi ?

– Dieu merci, non, mon cher ami, dit d'Artagnan, ce n'est rien de cela. Je suis riche et libre.

– Riche ?

– Oui, riche pour moi ; pas pour vous ni pour Porthos, bien entendu. J'ai une quinzaine de mille livres de rente.