Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 69

– Prenez garde, vous allez vous faire noyer, dit Manicamp.

– Et pour rien, dit de Wardes, attendu qu'avec le vent debout, comme vous l'aurez, vous n'arriverez jamais aux vaisseaux.

– Ainsi, tu refuses ?

– Oui, ma foi ! Je perdrais volontiers la vie dans une lutte contre les hommes, dit-il en regardant obliquement Bragelonne ; mais me battre à coups d'aviron contre les flots d'eau salée, je n'y ai pas le moindre goût.

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– Et moi, dit Manicamp, dussé-je arriver jusqu'aux bâtiments, je me soucierais peu de perdre le seul habit propre qui me reste ; l'eau salée rejaillit, et elle tache.

– Toi aussi, tu refuses ? s'écria de Guiche.

– Mais tout à fait : je te prie de le croire, et plutôt deux fois qu'une.

– Mais voyez donc, s'écria de Guiche ; vois donc, de Wardes, vois donc, Manicamp ; là-bas, sur la dunette du vaisseau amiral, les princesses nous regardent.

– Raison de plus, cher ami, pour ne pas prendre un bain ridicule devant elles.

– C'est ton dernier mot, Manicamp ?

– Oui.

– C'est ton dernier mot, de Wardes ?

– Oui.

– Alors j'irai tout seul.

– Non pas, dit Raoul, je vais avec toi : il me semble que c'est chose convenue.

Le fait est que Raoul, libre de toute passion, mesurant le danger avec sang-froid, voyait le danger imminent ; mais il se laissait entraîner volontiers à faire une chose devant laquelle reculait de Wardes. Le bateau se mettait en route ; de Guiche appela le pilote côtier.

– Holà de la barque ! dit-il, il nous faut deux places !

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Et roulant cinq ou dix pistoles dans un morceau de papier, il les jeta du quai dans le bateau.

– Il paraît que vous n'avez pas peur de l'eau salée, mes jeunes maîtres ? dit le patron.

– Nous n'avons peur de rien, répondit de Guiche.

– Alors, venez, mes gentilshommes.

Le pilote s'approcha du bord, et l'un après l'autre, avec une lé-

gèreté pareille, les deux jeunes gens sautèrent dans le bateau.

– Allons, courage, enfants, dit de Guiche ; il y a encore vingt pistoles dans cette bourse, et si nous atteignons le vaisseau amiral, elles sont à vous.

Aussitôt les rameurs se courbèrent sur leurs rames, et la barque bondit sur la cime des flots.

Tout le monde avait pris intérêt à ce départ si hasardé ; la population du Havre se pressait sur les jetées : il n'y avait pas un regard qui ne fût pour la barque.

Parfois, la frêle embarcation demeurait un instant comme suspendue aux crêtes écumeuses, puis tout à coup elle glissait au fond d'un abîme mugissant, et semblait être précipitée. Néanmoins, après une heure de lutte, elle arriva dans les eaux du vaisseau amiral, dont se détachaient déjà deux embarcations destinées à venir à son aide.