Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 70

Sur le gaillard d'arrière du vaisseau amiral, abritées par un dais de velours et d'hermine que soutenaient de puissantes attaches, Madame Henriette douairière et la jeune Madame, ayant auprès d'elles l'amiral comte de Norfolk, regardaient avec terreur cette barque tantôt enlevée au ciel, tantôt engloutie jusqu'aux enfers, contre la voile sombre de laquelle brillaient, comme deux lumi-

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neuses apparitions, les deux nobles figures des deux gentilshommes français.

L'équipage, appuyé sur les bastingages et grimpé dans les hau-bans, applaudissait à la bravoure de ces deux intrépides, à l'adresse du pilote et à la force des matelots.

Un hourra de triomphe accueillit leur arrivée à bord. Le comte de Norfolk, beau jeune homme de vingt-six à vingt-huit ans, s'avan-

ça au-devant d'eux.

De Guiche et Bragelonne montèrent lestement l'escalier de tri-bord, et conduits par le comte de Norfolk, qui reprit sa place auprès d'elles, ils vinrent saluer les princesses.

Le respect, et surtout une certaine crainte dont il ne se rendait pas compte, avaient empêché jusque-là le comte de Guiche de regarder attentivement la jeune Madame.

Celle-ci, au contraire, l'avait distingué tout d'abord et avait demandé à sa mère :

– N'est-ce point Monsieur que nous apercevons sur cette barque ?

Madame Henriette, qui connaissait Monsieur mieux que sa fille, avait souri à cette erreur de son amour-propre et avait répondu :

– Non, c'est M. de Guiche, son favori, voilà tout.

À cette réponse, la princesse avait été forcée de contenir l’instinctive bienveillance provoquée par l'audace du comte. Ce fut au moment où la princesse faisait cette question que de Guiche, osant enfin lever les yeux sur elle, put comparer l'original au portrait.

Lorsqu'il vit ce visage pâle, ces yeux animés, ces adorables cheveux châtains, cette bouche frémissante et ce geste si éminemment

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royal qui semblait remercier et encourager tout à la fois, il fut saisi d'une telle émotion, que, sans Raoul, qui lui prêta son bras, il eût chancelé.

Le regard étonné de son ami, le geste bienveillant de la reine, rappelèrent de Guiche à lui.

En peu de mots, il expliqua sa mission, dit comment il était l'envoyé de Monsieur, et salua, selon leur rang et les avances qu'ils lui firent, l'amiral et les différents seigneurs anglais qui se grou-paient autour des princesses.

Raoul fut présenté à son tour et gracieusement accueilli ; tout le monde savait la part que le comte de La Fère avait prise à la restauration du roi Charles II ; en outre, c'était encore le comte qui avait été chargé de la négociation du mariage qui ramenait en France la petite-fille de Henri IV.