Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 7

Aramis lança un regard à Porthos comme pour lui demander si tout cela était bien vrai, si quelque piège ne se cachait point sous ces dehors d'indifférence. Mais bientôt, comme honteux d'avoir consulté ce pauvre auxiliaire, il rassembla toutes ses forces pour un nouvel assaut ou pour une nouvelle défense.

– On m'avait assuré, dit-il, que vous aviez eu quelque démêlé avec la cour, mais que vous en étiez sorti comme vous savez sortir de tout, mon cher d'Artagnan, avec les honneurs de la guerre.

– 12 –


– Moi ? s'écria le mousquetaire avec un grand éclat de rire insuffisant à cacher son embarras ; car, à ces mots d'Aramis, il pouvait le croire instruit de ses dernières relations avec le roi ; moi ?

Ah ! racontez-moi donc cela, mon cher Aramis.

– Oui, l'on m'avait raconté, à moi, pauvre évêque perdu au milieu des landes, on m'avait dit que le roi vous avait pris pour confident de ses amours.

– Avec qui ?

– Avec Mlle de Mancini.

D'Artagnan respira.

– Ah ! je ne dis pas non, répliqua-t-il.

– Il paraît que le roi vous a emmené un matin au-delà du pont de Blois pour causer avec sa belle.

– C'est vrai, dit d'Artagnan. Ah ! vous savez cela ? Mais alors, vous devez savoir que, le jour même, j'ai donné ma démission.

– Sincère ?

– Ah ! mon ami, on ne peut plus sincère.

– C'est alors que vous allâtes chez le comte de La Fère ?

– Oui.

– Chez moi ?

– Oui.

– Et chez Porthos ?

– Oui.

– 13 –


– Était-ce pour nous faire une simple visite ?

– Non ; je ne vous savais point attachés, et je voulais vous emmener en Angleterre.

– Oui, je comprends, et alors vous avez exécuté seul, homme merveilleux, ce que vous vouliez nous proposer d'exécuter à nous quatre. Je me suis douté que vous étiez pour quelque chose dans cette belle restauration, quand j'appris qu'on vous avait vu aux ré-

ceptions du roi Charles, lequel vous parlait comme un ami, ou plutôt comme un obligé.

– Mais comment diable avez-vous su tout cela ? demanda d'Artagnan, qui craignait que les investigations d'Aramis ne s'éten-dissent plus loin qu'il ne le voulait.

– Cher d'Artagnan, dit le prélat, mon amitié ressemble un peu à la sollicitude de ce veilleur de nuit que nous avons dans la petite tour du môle, à l'extrémité du quai. Ce brave homme allume tous les soirs une lanterne pour éclairer les barques qui viennent de la mer. Il est caché dans sa guérite, et les pêcheurs ne le voient pas ; mais lui les suit avec intérêt ; il les devine, il les appelle, il les attire dans la voie du port. Je ressemble à ce veilleur ; de temps en temps quelques avis m'arrivent et me rappellent au souvenir de tout ce que j'aimais. Alors je suis les amis d'autrefois sur la mer orageuse du monde, moi, pauvre guetteur auquel Dieu a bien voulu donner l'abri d'une guérite.