nement, de Guiche rentra dans sa tente, et s'assit sur un large escabeau, avec une telle expression de douleur, que Bragelonne le suivit du regard jusqu'à ce qu'il l'eût entendu soupirer ; alors il s'approcha. Le comte était renversé en arrière, l'épaule appuyée à la paroi de la tente, le front dans ses mains, la poitrine haletante et le genou inquiet.
– Tu souffres, ami ? lui demanda Raoul.
– Cruellement.
– 176 –
– Du corps, n'est-ce pas ?
– Du corps, oui.
– La journée a été fatigante, en effet, continua le jeune homme, les yeux fixés sur celui qu'il interrogeait.
– Oui, et le sommeil me rafraîchirait.
– Veux-tu que je te laisse ?
– Non, j'ai à te parler.
– Je ne te laisserai parler qu'après avoir interrogé, moi-même, de Guiche.
– Interroge.
– Mais sois franc.
– Comme toujours.
– Sais-tu pourquoi Buckingham était si furieux ?
– Je m'en doute.
– Il aime Madame, n'est-ce pas ?
– Du moins on en jurerait, à le voir.
– Eh bien ! il n'en est rien.
– Oh ! cette fois, tu te trompes, Raoul, et j'ai bien lu sa peine dans ses yeux, dans son geste, dans toute sa vie depuis ce matin.
– Tu es poète, mon cher comte, et partout tu vois de la poésie.
– Je vois surtout l'amour.
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– Où il n'est pas.
– Où il est.
– Voyons, de Guiche, tu crois ne pas te tromper ?
– Oh ! j'en suis sûr ! s'écria vivement le comte.
– Dis-moi, comte, demanda Raoul avec un profond regard, qui te rend si clairvoyant ?
– Mais, répondit de Guiche en hésitant, l'amour-propre.
– L'amour-propre ! c'est un mot bien long, de Guiche.
– Que veux-tu dire ?
– Je veux dire, mon ami, que d'ordinaire tu es moins triste que ce soir.
– La fatigue.
– La fatigue ?
– Oui.
– Écoute, cher ami, nous avons fait campagne ensemble, nous nous sommes vus à cheval pendant dix-huit heures ; trois chevaux, écrasés de lassitude ou mourant de faim, tombaient sous nous, que nous riions encore. Ce n'est point la fatigue qui te rend triste, comte.
– Alors, c'est la contrariété.
– Quelle contrariété ?
– Celle de ce soir.
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– La folie de lord Buckingham ?
– Eh ! sans doute ; n'est-il point fâcheux, pour nous Français représentant notre maître, de voir un Anglais courtiser notre future maîtresse, la seconde dame du royaume ?
– Oui, tu as raison ; mais je crois que lord Buckingham n'est pas dangereux.
– Non, mais il est importun. En arrivant ici, n'a-t-il pas failli tout troubler entre les Anglais et nous, et sans toi, sans ta prudence si admirable et ta fermeté si étrange, nous tirions l'épée en pleine ville.
– Il a changé, tu vois.
– Oui, certes ; mais de là même vient ma stupéfaction. Tu lui as parlé bas ; que lui as-tu dit ? Tu crois qu'il l'aime ; tu le dis, une passion ne cède pas avec cette facilité ; il n'est donc pas amoureux d'elle !