Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 83

Et de Guiche prononça lui-même ces derniers mots avec une telle expression, que Raoul leva la tête.

Le noble visage du jeune homme exprimait un mécontentement facile à lire.

– Ce que je lui ai dit, comte, répondit Raoul, je vais le répéter à toi. Écoute bien, le voici : « Monsieur, vous regardez d'un air d’envie, d'un air de convoitise injurieuse, la sœur de votre prince, laquelle ne vous est pas fiancée, laquelle n'est pas, laquelle ne peut pas être votre maîtresse ; vous faites donc affront à ceux qui, comme nous, viennent chercher une jeune fille pour la conduire à son époux. »

– Tu lui as dit cela ? demanda de Guiche en rougissant.

– 179 –


– En propres termes ; j'ai même été plus loin.

De Guiche fit un mouvement.

– Je lui ai dit : « De quel œil nous regarderiez-vous, si vous aperceviez parmi nous un homme assez insensé, assez déloyal, pour concevoir d'autres sentiments que le plus pur respect à l'égard d'une princesse destinée à notre maître ? »

Ces paroles étaient tellement à l'adresse de de Guiche, que de Guiche pâlit, et, saisi d'un tremblement subit, ne put tendre que machinalement une main vers Raoul, tandis que de l'autre il se couvrait les yeux et le front.

– Mais, continua Raoul sans s'arrêter à cette démonstration de son ami, Dieu merci ! les Français, que l'on proclame légers, indiscrets, inconsidérés, savent appliquer un jugement sain et une saine morale à l'examen des questions de haute convenance. « Or, ai-je ajouté, sachez, monsieur de Buckingham, que nous autres, gentilshommes de France, nous servons nos rois en leur sacrifiant nos passions aussi bien que notre fortune et notre vie ; et quand, par hasard, le démon nous suggère une de ces mauvaises pensées qui incendient le cœur, nous éteignons cette flamme, fût-ce en l'arrosant de notre sang. De cette façon, nous sauvons trois honneurs à la fois : celui de notre pays, celui de notre maître et le nôtre. Voilà, monsieur de Buckingham, comme nous agissons ; voilà comment tout homme de cœur doit agir. » Et voilà, mon cher de Guiche, continua Raoul, comment j'ai parlé à M. de Buckingham ; aussi s'est-il rendu sans résistance à mes raisons.

De Guiche, courbé jusqu'alors sous la parole de Raoul, se redressa, les yeux fiers et la main fiévreuse, il saisit la main de Raoul ; les pommettes de ses joues, après avoir été froides comme la glace, étaient de flamme.

– Et tu as bien parlé, dit-il d'une voix étranglée ; et tu es un brave ami, Raoul, merci ; maintenant, je t'en supplie, laisse-moi seul.