Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 92

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Puis, comme de Wardes demeurait désarmé et étourdi, Raoul remit son épée au fourreau, le saisit au collet et à la ceinture et le jeta de l'autre côté de la barrière, frémissant et hurlant de rage.

– Au revoir ! au revoir ! murmura de Wardes en se relevant et en ramassant son épée.

– Eh ! pardieu ! dit Raoul, je ne vous répète pas autre chose depuis une heure.

Puis, se retournant vers Buckingham :

– Duc, dit-il, pas un mot de tout cela, je vous en supplie ; je suis honteux d'en être venu à cette extrémité, mais la colère m'a emporté. Je vous en demande pardon, oubliez.

– Ah ! cher vicomte, dit le duc en serrant cette main si rude et si loyale à la fois, vous me permettrez bien de me souvenir, au contraire, et de me souvenir de votre salut, cet homme est dangereux, il vous tuera.

– Mon père, répondit Raoul, a vécu vingt ans sous la menace d'un ennemi bien plus redoutable, et il n'est pas mort. Je suis d'un sang que Dieu favorise, monsieur le duc.

– Votre père avait de bons amis, vicomte.

– Oui, soupira Raoul, des amis comme il n'y en a plus.

– Oh ! ne dites point cela, je vous en supplie, au moment où je vous offre mon amitié.

Et Buckingham ouvrit ses bras à Bragelonne, qui reçut avec joie l'alliance offerte.

– Dans ma famille, ajouta Buckingham, on meurt pour ceux que l'on aime, vous savez cela, monsieur de Bragelonne.

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– Oui, duc, je le sais, répondit Raoul.

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Chapitre LXXXVIII – Ce que le Chevalier de Lor-

raine pensait de Madame

Rien ne troubla plus la sécurité de la route. Sous un prétexte qui ne fit pas grand bruit, M. de Wardes s'échappa pour prendre les devants.

Il emmena Manicamp, dont l'humeur égale et rêveuse lui servait de balance.

Il est à remarquer que les esprits querelleurs et inquiets trouvent toujours une association à faire avec des caractères doux et timides, comme si les uns cherchaient dans le contraste un repos à leur humeur, les autres une défense pour leur propre faiblesse.

Buckingham et Bragelonne, initiant de Guiche à leur amitié, formaient tout le long de la route un concert de louanges en l'honneur de la princesse.

Seulement Bragelonne avait obtenu que ce concert fût donné par trios au lieu de procéder par solos comme de Guiche et son rival semblaient en avoir la dangereuse habitude.

Cette méthode d'harmonie plut beaucoup à Madame Henriette, la reine mère ; elle ne fut peut-être pas autant du goût de la jeune princesse, qui était coquette comme un démon, et qui, sans crainte pour sa voix, cherchait les occasions du péril. Elle avait, en effet, un de ces cœurs vaillants et téméraires qui se plaisent dans les extrêmes de la délicatesse et cherchent le fer avec un certain appétit de la blessure. Aussi ses regards, ses sourires, ses toilettes, projectiles inépuisables, pleuvaient-ils sur les trois jeunes gens, les cri-blaient-ils, et de cet arsenal sans fond sortaient encore des œillades, des baisemains et mille autres délices qui allaient férir à distance les gentilshommes de l’escorte, les bourgeois, les officiers des villes que