Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 91

– Vous avez raison, monsieur, dit Raoul en faisant un violent effort sur lui-même, je ne connais que le nom de mon père ; mais je sais trop combien M. le comte de La Fère est homme de bien et d'honneur pour craindre un seul instant, comme vous semblez le dire, qu'il y ait une tache sur ma naissance. Cette ignorance où je suis du nom de ma mère est donc seulement pour moi un malheur et non un opprobre. Or, vous manquez de loyauté, monsieur ; vous manquez de courtoisie en me reprochant un malheur. N'importe, l'insulte existe, et, cette fois, je me tiens pour insulté ! Donc, c'est chose convenue : après avoir vidé votre querelle avec M. d'Artagnan, vous aurez affaire à moi, s'il vous plaît.

– Oh ! oh ! répondit de Wardes avec un sourire amer, j'admire votre prudence, monsieur ; tout à l'heure vous me promettiez un coup d'épée de M. d'Artagnan, et c'est après ce coup d'épée, déjà re-

çu par moi, que vous m'offrez le vôtre.

– Ne vous inquiétez point, répondit Raoul avec une sourde co-lère ; M. d'Artagnan est un habile homme en fait d'armes et je lui demanderai cette grâce qu'il fasse pour vous ce qu'il a fait pour monsieur votre père, c'est-à-dire qu'il ne vous tue pas tout à fait, afin qu'il me laisse le plaisir, quand vous serez guéri, de vous tuer sérieusement, car vous êtes un méchant cœur, monsieur de Wardes,

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et l'on ne saurait, en vérité, prendre trop de précautions contre vous.

– Monsieur, j'en prendrai contre vous-même, dit de Wardes, soyez tranquille.

– Monsieur, fit Buckingham, permettez-moi de traduire vos paroles par un conseil que je vais donner à M. de Bragelonne : monsieur de Bragelonne, portez une cuirasse.

De Wardes serra les poings.

– Ah ! je comprends, dit-il, ces messieurs attendent le moment où ils auront pris cette précaution pour se mesurer contre moi.

– Allons ! monsieur, dit Raoul, puisque vous le voulez absolument, finissons-en.

Et il fit un pas vers de Wardes en étendant son épée.

– Que faites-vous ? demanda Buckingham.

– Soyez tranquille, dit Raoul, ce ne sera pas long.

De Wardes tomba en garde : les fers se croisèrent. De Wardes s'élança avec une telle précipitation sur Raoul, qu'au premier froissement du fer, il fut évident pour Buckingham que Raoul ménageait son adversaire.

Buckingham recula d'un pas et regarda la lutte. Raoul était calme comme s'il eût joué avec un fleuret, au lieu de jouer avec une épée ; il dégagea son arme engagée jusqu'à la poignée en faisant un pas de retraite, para avec des contres les trois ou quatre coups que lui porta de Wardes ; puis, sur une menace en quarte basse que de Wardes para par le cercle, il lia l'épée et l'envoya à vingt pas de l'autre côté de la barrière.