Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 31

– 66 –


épée souillée, songez-y, Sire, elle n’a plus désormais d’autre fourreau que mon cœur ou le vôtre. Je choisis le mien, Sire, remerciez-en Dieu et ma patience !


Puis se précipitant sur son épée :


– Que mon sang retombe sur votre tête, Sire ! s’écria-t-il.


Et, d’un geste rapide, appuyant la poignée de l’épée au parquet, il en dirigea la pointe sur sa poitrine.


Le roi s’élança d’un mouvement encore plus rapide que celui de d’Artagnan, jetant le bras droit au cou du mousquetaire, et, de la main gauche, saisissant par le milieu la lame de l’épée, qu’il remit silencieusement au fourreau.


D’Artagnan, roide, pâle et frémissant encore, laissa, sans l’aider, faire le roi jusqu’au bout.


Alors, Louis, attendri, revenant à la table, prit la plume, écrivit quelques lignes, les signa, et étendit la main vers d’Artagnan.


– Qu’est-ce que ce papier, Sire ? demanda le capitaine.


– L’ordre donné à M. d’Artagnan d’élargir à l’instant même M. le comte de La Fère.


D’Artagnan saisit la main royale et la baisa ; puis il plia l’ordre, le passa sous son buffle et sortit.


Ni le roi ni le capitaine n’avaient articulé une syllabe.


– Ô cœur humain ! boussole des rois ! murmura Louis resté seul, quand donc saurai-je lire dans tes replis comme dans les feuilles d’un livre ? Non, je ne suis pas un mauvais roi ; non, je ne suis pas un pauvre roi ; mais je suis encore un enfant.

– 67 –


– 68 –


Chapitre CCIV – Rivaux politiques


D’Artagnan avait promis à M. de Baisemeaux d’être de retour au dessert, d’Artagnan tint parole. On en était aux vins fins et aux liqueurs, dont la cave du gouverneur avait la réputation d’être admirablement garnie, lorsque les éperons du capitaine des mousquetaires retentirent dans le corridor et que lui-même parut sur le seuil.


Athos et Aramis avaient joué serré. Aussi, aucun des deux n’avait pénétré l’autre. On avait soupé, causé beaucoup de la Bastille, du dernier voyage de Fontainebleau, de la future fête que M. Fouquet devait donner à Vaux. Les généralités avaient été prodiguées, et nul, hormis de Baisemeaux, n’avait effleuré les choses particulières.


D’Artagnan tomba au milieu de la conversation, encore pâle et ému de sa conversation avec le roi De Baisemeaux s’empressa d’approcher une chaise. D’Artagnan accepta un verre plein et le laissa vide. Athos et Aramis remarquèrent tous deux cette émotion de d’Artagnan. Quant à de Baisemeaux, il ne vit rien que le capitaine des mousquetaires de Sa Majesté auquel il se hâta de faire fête. Approcher le roi, c’était avoir tous droits aux égards de M. de Baisemeaux. Seulement, quoique Aramis eût remarqué cette émotion, il n’en pouvait deviner la cause. Athos seul croyait l’avoir pénétrée. Pour lui, le retour de d’Artagnan et surtout le bouleversement de l’homme impassible signifiaient : « Je viens de demander au roi quelque chose que le roi m’a refusé. » Bien convaincu qu’il était dans le vrai, Athos sourit, se leva de table et fit un signe à d’Artagnan, comme pour lui rappeler qu’ils avaient autre chose à faire que de souper ensemble.