Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 37


Quand Porthos vit sur le chemin ces deux cavaliers si pressés, il ne douta plus que ce ne fussent ses hommes, et, se levant aussitôt de l’herbe sur laquelle il s’était mollement assis, il commença par déraidir ses genoux et ses poignets, en disant :


– Ce que c’est que d’avoir de belles habitudes ! Ce drôle a fini par venir. Si je me fusse retiré, il ne trouvait personne et prenait avantage.


Puis il se campa sur une hanche avec une martiale attitude, et fit ressortir par un puissant tour de reins la cambrure de sa taille gigantesque. Mais, au lieu de Saint-Aignan, il ne vit que Raoul, lequel, avec des gestes désespérés, l’aborda en criant :


– Ah ! cher ami ; ah ! pardon ; ah ! que je suis malheureux !


– Raoul ! fit Porthos tout surpris.


– Vous m’en vouliez ? s’écria Raoul en venant embrasser Porthos.

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– Moi ? et de quoi ?


– De vous avoir ainsi oublié. Mais, voyez-vous, j’ai la tête perdue.


– Ah bah !


– Si vous saviez, mon ami ?


– Vous l’avez tué ?


– Qui ?


– De Saint-Aignan.


– Hélas ! il s’agit bien de Saint-Aignan.


– Qu’y a-t-il encore ?


– Il y a que M. le comte de La Fère doit être arrêté à l’heure qu’il est.


Porthos fit un mouvement qui eût renversé une muraille.


– Arrêté !… Par qui ?


– Par d’Artagnan !


– C’est impossible, dit Porthos.


– C’est cependant la vérité, répliqua Raoul.


Porthos se tourna du côté de Grimaud en homme qui a besoin d’une seconde affirmation. Grimaud fit un signe de tête.

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– Et où l’a-t-on mené ? demanda Porthos.


– Probablement à la Bastille.


– Qui vous le fait croire ?


– En chemin, nous avons questionné des gens qui ont vu passer le carrosse, et d’autres encore qui l’ont vu entrer à la Bastille.


– Oh ! oh ! murmura Porthos, et il fit deux pas.


– Que décidez-vous ? demanda Raoul.


– Moi ? Rien. Seulement, je ne veux pas qu’Athos reste à la Bastille.


Raoul s’approcha du digne Porthos.


– Savez-vous que c’est par ordre du roi que l’arrestation s’est faite ?


Porthos regarda le jeune homme comme pour lui dire :

« Qu’est-ce que cela me fait, à moi ? » Ce muet langage parut si éloquent à Raoul, qu’il n’en demanda pas davantage. Il remonta à cheval. Déjà Porthos, aidé de Grimaud, en avait fait autant.


– Dressons notre plan, dit Raoul.


– Oui, répliqua Porthos, notre plan, c’est cela, dressons-le.


Raoul poussa un grand soupir et s’arrêta soudain.


– Qu’avez-vous ? demanda Porthos ; une faiblesse ?


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– Non, l’impuissance ! Avons-nous la prétention, à trois, d’aller prendre la Bastille ?


– Ah ! si d’Artagnan était là, répondit Porthos, je ne dis pas.


Raoul fut saisi d’admiration à la vue de cette confiance héroïque à force d’être naïve. C’étaient donc bien là ces hommes célèbres qui, à trois ou quatre, abordaient des armées ou attaquaient des châteaux ! Ces hommes qui avaient épouvanté la mort, et qui survivant à tout un siècle en débris, étaient plus forts encore que les plus robustes d’entre les jeunes.