Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 48


– Je vais mieux.


– Alors ? demanda Aramis.


– Alors, allant mieux, je n’ai plus le même besoin d’un confesseur, ce me semble.


– Pas même du cilice que vous annonçait le billet que vous avez trouvé dans votre pain ?


Le jeune homme tressaillit ; mais, avant qu’il eût répondu ou nié :


– Pas même, continua Aramis, de cet ecclésiastique de la bouche duquel vous avez une importante révélation à attendre ?


– S’il en est ainsi, dit le jeune homme en retombant sur son oreiller, c’est différent ; j’écoute.


Aramis alors le regarda plus attentivement et fut surpris de cet air de majesté simple et aisée qu’on n’acquiert jamais, si Dieu ne l’a mis dans le sang ou dans le cœur.


– Asseyez-vous, monsieur, dit le prisonnier.


Aramis obéit en s’inclinant.


– Comment vous trouvez-vous à la Bastille ? demanda l’évêque.


– Très bien.

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– Vous ne souffrez pas ?


– Non.


– Vous ne regrettez rien ?


– Rien.


– Pas même la liberté ?


– Qu’appelez-vous la liberté, monsieur, demanda le prisonnier avec l’accent d’un homme qui se prépare à une lutte.


– J’appelle la liberté, les fleurs, l’air, le jour, les étoiles, le bonheur de courir où vous portent vos jambes nerveuses de vingt ans.


Le jeune homme sourit ; il eût été difficile de dire si c’était de résignation ou de dédain.


– Regardez, dit-il, j’ai là, dans ce vase du Japon, deux roses, deux belles roses, cueillies hier au soir en boutons dans le jardin du gouverneur ; elles sont écloses ce matin et ont ouvert sous mes yeux leur calice vermeil ; avec chaque pli de leurs feuilles, elles ouvraient le trésor de leur parfum ; ma chambre en est tout embaumée. Ces deux roses, voyez-les : elles sont belles parmi les roses ; et les roses sont les plus belles des fleurs. Pourquoi donc voulez-vous que je désire d’autres fleurs, puisque j’ai les plus belles de toutes ?


Aramis regarda le jeune homme avec surprise.


– Si les fleurs sont la liberté, reprit mélancoliquement le captif, j’ai donc la liberté, puisque j’ai les fleurs.


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– Oh ! mais l’air ! s’écria Aramis ; l’air si nécessaire à la vie ?


– Eh bien ! monsieur, approchez-vous de la fenêtre continua le prisonnier ; elle est ouverte. Entre le ciel et la terre, le vent roule ses tourbillons de glace, de feu, de tièdes vapeurs ou de douces brises.

L’air qui vient de là caresse mon visage, quand, monté sur ce fauteuil, assis sur le dossier, le bras passé autour du barreau qui me soutient, je me figure que je nage dans le vide.


Le front d’Aramis se rembrunissait à mesure que parlait le jeune homme.


– Le jour ? continua-t-il. J’ai mieux que le jour, j’ai le soleil, un ami qui vient tous les jours me visiter sans la permission du gouverneur, sans la compagnie du guichetier. Il entre par la fenêtre, il trace dans ma chambre un grand carré long qui part de la fenêtre même et va mordre la tenture de mon lit jusqu’aux franges. Ce carré lumineux grandit de dix heures à midi, et décroît de une heure à trois, lentement, comme si, ayant eu hâte de venir, il avait regret de me quitter. Quand son dernier rayon disparaît, j’ai joui quatre heures de sa présence. Est-ce que ça ne suffit pas ? on m’a dit qu’il y avait des malheureux qui creusaient des carrières, des ouvriers qui travaillaient aux mines, et qui ne le voyaient jamais.