Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 58


Je cachai les deux morceaux dans mon justaucorps, et, m’aidant des pieds aux parois du puits, me suspendant des mains, vigoureux, agile, et pressé surtout, je regagnai la margelle, que j’inondai en la touchant de l’eau qui ruisselait de toute la partie inférieure de mon corps.


Une fois hors du puits avec ma proie, je me mis à courir au soleil, et j’atteignis le fond du jardin, où se trouvait une espèce de petit bois. C’est là que je voulais me réfugier.


Comme je mettais le pied dans ma cachette, la cloche qui retentissait lorsque s’ouvrait la grand-porte sonna. C’était mon gouverneur qui rentrait. Il était temps !


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Je calculai qu’il me restait dix minutes avant qu’il m’atteignît, si, devinant où j’étais, il venait droit à moi ; vingt minutes, s’il prenait la peine de me chercher.


C’était assez pour lire cette précieuse lettre, dont je me hâtai de rapprocher les deux fragments. Les caractères commençaient à s’effacer.


Cependant, malgré tout, je parvins à déchiffrer la lettre.


– Et qu’y avez-vous lu, monseigneur ? demanda Aramis vivement intéressé.


– Assez de choses pour croire, monsieur, que le valet était un gentilhomme, et que Perronnette, sans être une grande dame, était cependant plus qu’une servante ; enfin que j’avais moi-même quelque naissance, puisque la reine Anne d’Autriche et le premier ministre Mazarin me recommandaient si soigneusement.


Le jeune homme s’arrêta tout ému.


– Et qu’arriva-t-il ? demanda Aramis.


– Il arriva, monsieur, répondit le jeune homme, que l’ouvrier appelé par mon gouverneur ne trouva rien dans le puits, après l’avoir fouillé en tous sens ; il arriva que mon gouverneur s’aperçut que la margelle était toute ruisselante ; il arriva que je ne m’étais pas si bien séché au soleil que dame Perronnette ne reconnût que mes habits étaient tout humides ; il arriva enfin que je fus pris d’une grosse fièvre causée par la fraîcheur de l’eau et l’émotion de ma découverte, et que cette fièvre fut suivie d’un délire pendant lequel je racontai tout ; de sorte que, guidé par mes propres aveux, mon gouverneur trouva sous mon chevet les deux fragments de la lettre écrite par la reine.


– Ah ! fit Aramis, je comprends à cette heure.

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– À partir de là, tout est conjecture. Sans doute, le pauvre gentilhomme et la pauvre femme, n’osant garder le secret de ce qui venait de se passer, écrivirent tout à la reine et lui renvoyèrent la lettre déchirée.


– Après quoi, dit Aramis, vous fûtes arrêté et conduit à la Bastille ?


– Vous le voyez.


– Puis vos serviteurs disparurent ?