Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 59


– Hélas !


– Ne nous occupons pas des morts, reprit Aramis, et voyons ce que l’on peut faire avec le vivant. Vous m’avez dit que vous étiez résigné ?


– Et je vous le répète.


– Sans souci de la liberté ?


– Je vous l’ai dit.


– Sans ambition, sans regret, sans pensée ?


Le jeune homme ne répondit rien.


– Eh bien ! demanda Aramis, vous vous taisez ?


– Je crois que j’ai assez parlé, répondit le prisonnier, et que c’est votre tour. Je suis fatigué.


– Je vais vous obéir, dit Aramis.

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Aramis se recueillit, et une teinte de solennité profonde se répandit sur toute sa physionomie. On sentait qu’il en était arrivé à la partie importante du rôle qu’il était venu jouer dans la prison.


– Une première question, fit Aramis.


– Laquelle ? Parlez.


– Dans la maison que vous habitiez, il n’y avait ni glace ni miroir, n’est-ce pas ?


– Qu’est-ce que ces deux mots, et que signifient-ils ? demanda le jeune homme. Je ne les connais même pas.


– On entend par miroir ou glace un meuble qui réfléchit les objets, qui permet, par exemple, que l’on voie les traits de son propre visage dans un verre préparé, comme vous voyez les miens à l’œil nu.


– Non, il n’y avait dans la maison ni glace ni miroir, répondit le jeune homme.


Aramis regarda autour de lui.


– Il n’y en a pas non plus ici, dit-il ; les mêmes précautions ont été prises ici que là-bas.


– Dans quel but ?


– Vous le saurez tout à l’heure. Maintenant, pardonnez-moi ; vous m’avez dit que l’on vous avait appris les mathématiques, l’astronomie, l’escrime, le manège ; vous ne m’avez point parlé d’histoire.


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– Quelquefois, mon gouverneur m’a raconté les hauts faits du roi saint Louis, de François Ier et du roi Henri IV.


– Voilà tout ?


– Voilà à peu près tout.


– Eh bien ! je le vois, c’est encore un calcul : comme on vous avait enlevé les miroirs qui réfléchissent le présent, on vous a laissé ignorer l’histoire qui réfléchit le passé. Depuis votre emprisonnement, les livres vous ont été interdits, de sorte que bien des faits vous sont inconnus, à l’aide desquels vous pourriez reconstruire l’édifice écroulé de vos souvenirs ou de vos intérêts.


– C’est vrai, dit le jeune homme.


– Écoutez, je vais donc, en quelques mots, vous dire ce qui s’est passé en France depuis vingt-trois ou vingt-quatre ans, c’est-à-dire depuis la date probable de votre naissance, c’est-à-dire, enfin, depuis le moment qui vous intéresse.


– Dites.


Et le jeune homme reprit son attitude sérieuse et recueillie.


– Savez-vous quel fut le fils du roi Henri IV ?


– Je sais du moins quel fut son successeur.