Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 61


– Oh ! dit le prisonnier trahissant une instruction plus grande que celle qu’il avouait, je croyais que Monsieur n’était né qu’en…


Aramis leva le doigt.


– Attendez que je continue, dit-il.


Le prisonnier poussa un soupir impatient, et attendit.


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– Oui, dit Aramis, la reine eut un second fils, un second fils que dame Perronnette, la sage-femme, reçut dans ses bras.


– Dame Perronnette ! murmura le jeune homme.


– On courut aussitôt à la salle où le roi dînait ; on le prévint tout bas de ce qui arrivait ; il se leva de table et accourut. Mais, cette fois, ce n’était plus la gaieté qu’exprimait son visage, c’était un sentiment qui ressemblait à de la terreur. Deux fils jumeaux changeaient en amertume la joie que lui avait causée la naissance d’un seul, attendu que ce que je vais vous dire, vous l’ignorez certainement, attendu qu’en France c’est l’aîné des fils qui règne après le père.


– Je sais cela.


– Et que les médecins et les jurisconsultes prétendent qu’il y a lieu de douter si le fils qui sort le premier du sein de sa mère est l’aîné de par la loi de Dieu et de la nature.


Le prisonnier poussa un cri étouffé, et devint plus blanc que le drap sous lequel il se cachait.


– Vous comprenez maintenant, poursuivit Aramis, que le roi, qui s’était vu avec tant de joie continuer dans un héritier, dut être au désespoir en songeant que maintenant il en avait deux, et que, peut-être, celui qui venait de naître et qui était inconnu, contesterait le droit d’aînesse à l’autre qui était né deux heures auparavant, et qui, deux heures auparavant, avait été reconnu.

Ainsi, ce second fils, s’armant des intérêts ou des caprices d’un parti, pouvait, un jour, semer dans le royaume la discorde et la guerre, détruisant, par cela même, la dynastie qu’il eût dû consolider.


– Oh ! je comprends, je comprends !… murmura le jeune homme.

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– Eh bien ! continua Aramis, voilà ce qu’on rapporte, voilà ce qu’on assure, voilà pourquoi un des deux fils d’Anne d’Autriche, indignement séparé de son frère, indignement séquestré, réduit à l’obscurité la plus profonde, voilà pourquoi ce second fils a disparu, et si bien disparu, que nul en France ne sait aujourd’hui qu’il existe, excepté sa mère.


– Oui, sa mère, qui l’a abandonné ! s’écria le prisonnier avec l’expression du désespoir.


– Excepté, continua Aramis, cette dame à la robe noire et aux rubans de feu, et enfin excepté…


– Excepté vous, n’est-ce pas ? Vous qui venez me conter tout cela, vous qui venez éveiller en mon âme la curiosité, la haine, l’ambition, et, qui sait ? peut-être, la soif de la vengeance ; excepté vous, monsieur, qui, si vous êtes l’homme que j’attends, l’homme que me promet le billet, l’homme enfin que Dieu doit m’envoyer, devez avoir sur vous…