Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 63


– Je comprends, monsieur, fit le prince, et c’est par faiblesse ou par trahison que mon oncle tua ses amis ?


– Par faiblesse : ce qui est toujours une trahison chez les princes.


– Ne peut-on pas échouer aussi par ignorance, par incapacité ?

Croyez-vous bien qu’il soit possible à un pauvre captif tel que moi, élevé non seulement loin de la Cour, mais encore loin du monde,

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croyez-vous qu’il lui soit possible d’aider ceux de ses amis qui tenteraient de le servir ?


Et comme Aramis allait répondre, le jeune homme s’écria tout à coup avec une violence qui décelait la force du sang :


– Nous parlons ici d’amis, mais par quel hasard aurais-je des amis, moi que personne ne connaît, et qui n’ai pour m’en faire ni liberté, ni argent, ni puissance ?


– Il me semble que j’ai eu l’honneur de m’offrir à Votre Altesse Royale.


– Oh ! ne m’appelez pas ainsi, monsieur ; c’est une dérision ou une barbarie. Ne me faites pas songer à autre chose qu’aux murs de la prison qui m’enferme, laissez-moi aimer encore, ou, du moins, subir mon esclavage et mon obscurité.


– Monseigneur ! monseigneur ! si vous me répétez encore ces paroles découragées ! Si, après avoir eu la preuve de votre naissance, vous demeurez pauvre d’esprit, de souffle et de volonté, j’accepterai votre vœu, je disparaîtrai, je renoncerai à servir ce maître, à qui, si ardemment, je venais dévouer ma vie et mon aide.


– Monsieur, s’écria le prince, avant de me dire tout ce que vous dites, n’eût-il pas mieux valu réfléchir que vous m’avez à jamais brisé le cœur ?


– Ainsi ai-je voulu faire, monseigneur.


– Monsieur, pour me parler de grandeur, de puissance, de royauté même, est-ce que vous devriez choisir une prison ? Vous voulez me faire croire à la splendeur, et nous nous cachons dans la nuit ? Vous me vantez la gloire, et nous étouffons nos paroles sous les rideaux de ce grabat ? Vous me faites entrevoir une toute-puissance et j’entends les pas du geôlier dans ce corridor, ce pas qui

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vous fait trembler plus que moi ? Pour me rendre un peu moins incrédule, tirez-moi donc de la Bastille, donnez de l’air à mes poumons, des éperons à mon pied, une épée à mon bras, et nous commencerons à nous entendre.


– C’est bien mon intention de vous donner tout cela, et plus que cela, monseigneur. Seulement, le voulez-vous ?


– Écoutez encore, monsieur, interrompit le prince. Je sais qu’il y a des gardes à chaque galerie, des verrous à chaque porte, des canons et des soldats à chaque barrière. Avec quoi vaincrez-vous les gardes, enclouerez vous les canons ? Avec quoi briserez-vous les verrous et les barrières ?