Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 64


– Monseigneur, comment vous est venu ce billet que vous avez lu et qui annonçait ma venue ?


– On corrompt un geôlier pour un billet.


– Si l’on corrompt un geôlier, on peut en corrompre dix.


– Eh bien ! j’admets que ce soit possible de tirer un pauvre captif de la Bastille, possible de le bien cacher pour que les gens du roi ne le rattrapent point, possible encore de nourrir convenablement ce malheureux dans un asile inconnu.


– Monseigneur ! fit en souriant Aramis.


– J’admets que celui qui ferait cela pour moi serait déjà plus qu’un homme, mais puisque vous dites que je suis un prince, un frère de roi, comment me rendrez-vous le rang et la force que ma mère et mon frère m’ont enlevés ? Mais, puisque je dois passer une vie de combats et de haines, comment me ferez-vous vainqueur dans ces combats et invulnérable à mes ennemis ? Ah ! monsieur, songez-y ! jetez-moi demain dans quelque noire caverne, au fond d’une montagne ! faites-moi cette joie d’entendre en liberté les

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bruits du fleuve et de la plaine, de voir en liberté le soleil d’azur ou le ciel orageux, c’en est assez ! Ne me promettez pas davantage, car, en vérité, vous ne pouvez me donner davantage, et ce serait un crime de me tromper, puisque vous vous dites mon ami.


Aramis continua d’écouter en silence.


– Monseigneur, reprit-il après avoir un moment réfléchi, j’admire ce sens si droit et si ferme qui dicte vos paroles ; je suis heureux d’avoir deviné mon roi.


– Encore ! encore !… Ah ! par pitié, s’écria le prince en comprimant de ses mains glacées son front couvert d’une sueur brûlante, n’abusez pas de moi : je n’ai pas besoin d’être un roi, monsieur, pour être le plus heureux des hommes.


– Et moi, monseigneur, j’ai besoin que vous soyez un roi pour le bonheur de l’humanité.


– Ah ! fit le prince avec une nouvelle défiance inspirée par ce mot, ah ! qu’a donc l’humanité à reprocher à mon frère ?


– J’oubliais de dire, monseigneur, que, si vous daignez vous laisser guider par moi, et si vous consentez à devenir le plus puissant prince de la terre, vous aurez servi les intérêts de tous les amis que je voue au succès de notre cause, et ces amis sont nombreux.


– Nombreux ?


– Encore moins que puissants, monseigneur.


– Expliquez-vous.


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– Impossible ! Je m’expliquerai, je le jure devant Dieu qui m’entend, le propre jour où je vous verrai assis sur le trône de France.


– Mais mon frère ?


– Vous ordonnerez de son sort. Est-ce que vous le plaignez ?


– Lui qui me laisse mourir dans un cachot ? Non, je ne le plains pas !