Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 80


– Mon cher monsieur, lui dit-il à demi-voix, l’homme que vous voyez se croit déshonoré quand on toise la chair et les os que Dieu lui a départis ; étudiez-moi ce type, maître Aristophane, et profitez.


Molière n’avait pas besoin d’être encouragé ; il couvait des yeux le baron Porthos.

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– Monsieur, lui dit-il, s’il vous plaît de venir avec moi, je vous ferai prendre mesure d’un habit, sans que le mesureur vous touche.


– Oh ! fit Porthos, comment dites-vous cela, mon ami ?


– Je dis qu’on n’appliquera ni l’aune ni le pied sur vos coutures.

C’est un procédé nouveau, que nous avons imaginé, pour prendre la mesure des gens de qualité dont la susceptibilité répugne à se laisser toucher par des manants. Nous avons des gens susceptibles qui ne peuvent souffrir d’être mesurés, cérémonie qui, à mon avis, blesse la majesté naturelle de l’homme, et si, par hasard, monsieur, vous étiez de ces gens-là…


– Corbœuf ! je crois bien que j’en suis.


– Eh bien ! cela tombe à merveille, monsieur le baron, et vous aurez l’étrenne de notre invention.


– Mais comment diable s’y prend-on ? dit Porthos ravi.


– Monsieur, dit Molière en s’inclinant, si vous voulez bien me suivre, vous le verrez.


Aramis regardait cette scène de tous ses yeux. Peut-être croyait-il reconnaître, à l’animation de d’Artagnan, que celui-ci partirait avec Porthos, pour ne pas perdre la fin d’une scène si bien commencée. Mais, si perspicace que fût Aramis, il se trompait.

Porthos et Molière partirent seuls. D’Artagnan demeura avec Percerin. Pourquoi ? Par curiosité, voilà tout ; probablement, dans l’intention de jouir quelques instants de plus de la présence de son bon ami Aramis. Molière et Porthos disparus, d’Artagnan se rapprocha de l’évêque de Vannes ; ce qui parut contrarier celui-ci tout particulièrement.


– Un habit aussi pour vous, n’est-ce pas, cher ami ?

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Aramis sourit.


– Non, dit-il.


– Vous allez à Vaux, cependant ?


– J’y vais, mais sans habit neuf. Vous oubliez, cher d’Artagnan, qu’un pauvre évêque de Vannes n’est pas assez riche pour se faire faire des habits à toutes les fêtes.


– Bah ! dit le mousquetaire en riant, et les poèmes, n’en faisons-nous plus ?


– Oh ! d’Artagnan, fit Aramis, il y a longtemps que je ne pense plus à toutes ces futilités.


– Bien ! répéta d’Artagnan mal convaincu.


Quant à Percerin, il s’était replongé dans sa contemplation de brocarts.


– Ne remarquez-vous pas, dit Aramis en souriant, que nous gênons beaucoup ce brave homme mon cher d’Artagnan ?


– Ah ! ah ! murmura à demi-voix le mousquetaire, c’est-à-dire que je te gêne, cher ami.