Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 96


– Une peinture ? Ah ! tant mieux ! Et que doit représenter cette peinture ?

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– Je vous conterai cela ; puis, du même coup, quoi que vous en disiez, j’ai visité les habits de nos poètes.


– Bah ! et ils seront élégants, riches ?


– Superbes ! Il n’y aura pas beaucoup de grands seigneurs qui en auront de pareils. On verra la différence qu’il y a entre les courtisans de la richesse et ceux de l’amitié.


– Toujours spirituel et généreux, cher prélat !


– À votre école.


Fouquet lui serra la main.


– Et où allez-vous ? dit-il.


– Je vais à Paris, quand vous m’aurez donné une lettre.


– Une lettre pour qui ?


– Une lettre pour M. de Lyonne.


– Et que lui voulez-vous, à Lyonne ?


– Je veux lui faire signer une lettre de cachet.


– Une lettre de cachet ! Vous voulez faire mettre quelqu’un à la Bastille ?


– Non, au contraire, j’en veux faire sortir quelqu’un.


– Ah ! Et qui cela ?


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– Un pauvre diable, un jeune homme, un enfant, qui est embastillé, voilà tantôt dix ans, pour deux vers latins qu’il a faits contre les jésuites.


– Pour deux vers latins ! Et, pour deux vers latins, il est en prison depuis dix ans, le malheureux ?


– Oui.


– Et il n’a pas commis d’autre crime ?


– À part ces deux vers, il est innocent comme vous et moi.


– Votre parole ?


– Sur l’honneur !


– Et il se nomme ?…


– Seldon.


– Ah ! c’est trop fort, par exemple ! Et vous saviez cela, et vous ne me l’avez pas dit ?


– Ce n’est qu’hier que sa mère s’est adressée à moi, Monseigneur.


– Et cette femme est pauvre ?


– Dans la misère la plus profonde.


– Mon Dieu ! dit Fouquet, vous permettez parfois de telles injustices, que je comprends qu’il y ait des malheureux qui doutent de vous ! Tenez, monsieur d’Herblay.


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Et Fouquet, prenant une plume, écrivit rapidement quelques lignes à son collègue Lyonne.


Aramis prit la lettre et s’apprêta à sortir.


– Attendez, dit Fouquet.


Il ouvrit son tiroir et lui remit dix billets de caisse qui s’y trouvaient. Chaque billet était de mille livres.


– Tenez, dit-il, faites sortir le fils, et remettez ceci à la mère ; mais surtout ne lui dites pas…


– Quoi, Monseigneur ?


– Qu’elle est de dix mille livres plus riche que moi ; elle dirait que je suis un triste surintendant. Allez, et j’espère que Dieu bénira ceux qui pensent à ses pauvres.


– C’est ce que j’espère aussi, répliqua Aramis en baisant la main de Fouquet.


Et il sortit rapidement, emportant la lettre pour Lyonne, les bons de caisse pour la mère de Seldon et emmenant Molière, qui commençait à s’impatienter.


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