Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 38

– Vous êtes un homme odieux, Malicorne ; j'allais me réjouir de cette commission, et voilà que vous m'ôtez toute ma joie.

– Bon ! il n'y a point de temps perdu ; vous vous réjouirez quand je serai parti.

– Partez donc, alors…

– Soit ; mais, auparavant, un conseil…

– Lequel ?

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– Reprenez votre belle humeur ; vous devenez laide quand vous boudez.

– Grossier !

– Allons, disons-nous nos vérités tandis que nous y sommes.

– Ô Malicorne ! ô mauvais cœur !

– Ô Montalais ! ô ingrate !

Et le jeune homme s'accouda sur l'appui de la fenêtre.

Montalais prit un livre et l'ouvrit.

Malicorne se redressa, brossa son feutre avec sa manche et dé-

fripa son pourpoint noir.

Montalais, tout en faisant semblant de lire, le regardait du coin de l'œil.

– Bon ! s'écria-t-elle furieuse, le voilà qui prend son air respectueux. Il va bouder pendant huit jours.

– Quinze, mademoiselle, dit Malicorne en s'inclinant.

Montalais leva sur lui son poing crispé.

– Monstre ! dit-elle. Oh ! si j'étais un homme !

– Que me feriez-vous ?

– Je t'étranglerais !

– Ah ! fort bien, dit Malicorne ; je crois que je commence à dé-

sirer quelque chose.

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– Et que désirez-vous, monsieur le démon ! Que je perde mon âme par la colère ?

Malicorne roulait respectueusement son chapeau entre ses doigts ; mais tout à coup il laissa tomber son chapeau, saisit la jeune fille par les deux épaules, l'approcha de lui et appuya sur ses lèvres deux lèvres bien ardentes pour un homme ayant la prétention d'être si indifférent. Aure voulut pousser un cri, mais ce cri s'éteignit dans le baiser.

Nerveuse et irritée, la jeune fille repoussa Malicorne contre la muraille.

– Bon ! dit philosophiquement Malicorne, en voilà pour six semaines ; adieu, mademoiselle ! agréez mon très humble salut.

Et il fit trois pas pour se retirer.

– Eh bien ! non, vous ne sortirez pas ! s'écria Montalais en frappant du pied ; restez ! je vous l'ordonne !

– Vous l'ordonnez ?

– Oui ; ne suis-je pas la maîtresse ?

– De mon âme et de mon esprit, sans aucun doute.

– Belle propriété, ma foi ! L'âme est sotte et l'esprit sec.

– Prenez garde, Montalais, je vous connais, dit Malicorne ; vous allez vous prendre d'amour pour votre serviteur.

– Eh bien ! oui, dit-elle en se pendant à son cou avec une en-fantine indolence bien plus qu'avec un voluptueux abandon ; eh bien ! oui, car il faut que je vous remercie, enfin.

– Et de quoi ?

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– De cette commission ; n'est-ce pas tout mon avenir ?

– Et tout le mien.