Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 78

– Nul n'a le droit de donner de consigne ici, excepté moi, dit Buckingham.

– Comment cela, monsieur ? demanda Manicamp avec sa voix douce. Faites-moi la grâce de m'expliquer cette énigme.

– Parce que, comme je vous l'ai dit, j'ai loué toutes les maisons de la place.

– Nous le savons bien, puisqu'il ne nous est resté que la place elle-même.

– Vous vous trompez, monsieur, la place est à moi comme les maisons.

– Oh ! pardon, monsieur, vous faites erreur. On dit chez nous le pavé du roi ; donc, la place est au roi ; donc, puisque nous sommes les ambassadeurs du roi, la place est à nous.

– Monsieur, je vous ai déjà demandé qui vous étiez ! s’écria Buckingham exaspéré du sang-froid de son interlocuteur.

– On m'appelle Manicamp, répondit le jeune homme d'une voix éolienne, tant elle était harmonieuse et suave.

Buckingham haussa les épaules.

– Bref, dit-il, quand j'ai loué les maisons qui entourent l'Hôtel de Ville, la place était libre ; ces baraques obstruent ma vue, ôtez ces baraques !

Un sourd et menaçant murmure courut dans la foule des auditeurs. De Guiche arrivait en ce moment ; il écarta cette foule qui le

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séparait de Buckingham, et, suivi de Raoul, il arriva d'un côté, tandis que de Wardes arrivait de l'autre.

– Pardon, milord, dit-il ; mais si vous avez quelque réclamation à faire, ayez l'obligeance de la faire à moi, attendu que c'est moi qui ai donné les plans de cette construction.

– En outre, je vous ferai observer, monsieur, que le mot baraque se prend en mauvaise part, ajouta gracieusement Manicamp.

– Vous disiez donc, monsieur ? continua de Guiche.

– Je disais, monsieur le comte, reprit Buckingham avec un accent de colère encore sensible, quoiqu'il fût tempéré par la présence d'un égal, je disais qu'il est impossible que ces tentes demeurent où elles sont.

– Impossible, fit de Guiche, et pourquoi ?

– Parce qu'elles me gênent.

De Guiche laissa échapper un mouvement d'impatience, mais un coup d'œil froid de Raoul le retint.

– Elles doivent moins vous gêner, monsieur, que cet abus de la priorité que vous vous êtes permis.

– Un abus !

– Mais sans doute. Vous envoyez ici un messager qui loue, en votre nom, toute la ville du Havre, sans s'inquiéter des Français qui doivent venir au-devant de Madame. C'est peu fraternel, monsieur le duc, pour le représentant d'une nation amie.

– La terre est au premier occupant, dit Buckingham.

– Pas en France, monsieur.

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– Et pourquoi pas en France ?

– Parce que c'est le pays de la politesse.