Le vicomte de Bragelonne. Tome 2 (Дюма) - страница 94

– Ah ! c'est vrai.

– Le chevalier de Madame, ajouta le favori avec un tour et un ton que les seuls envieux peuvent donner aux phrases les plus simples.

– Comment ! que veux-tu dire ? répliqua le prince toujours chevauchant.

– J'ai dit le chevalier.

– Madame a-t-elle donc un chevalier attitré ?

– Dame ! il me semble que vous le voyez comme moi ; regardez-les seulement rire, et folâtrer, et faire du Cyrus tous les deux.

– Tous les trois.

– Comment, tous les trois ?

– Sans doute ; tu vois bien que de Guiche en est.

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– Certes !… Oui, je le vois bien… Mais qu'est-ce que cela prouve ?… Que Madame a deux chevaliers au lieu d'un.

– Tu envenimes tout, vipère.

– Je n'envenime rien. Ah ! monseigneur, que vous avez l'esprit mal fait ! Voilà qu'on fait les honneurs du royaume de France à votre femme et vous n'êtes pas content.

Le duc d'Orléans redoutait la verve satirique du chevalier, lorsqu'il la sentait montée à un certain degré de vigueur. Il coupa court.

– La princesse est jolie, dit-il négligemment comme s'il s'agissait d'une étrangère.

– Oui, répliqua sur le même ton le chevalier.

– Tu dis ce oui comme un non. Elle a des yeux noirs fort beaux, ce me semble.

– Petits.

– C'est vrai, mais brillants. Elle est d'une taille avantageuse.

– La taille est un peu gâtée, monseigneur.

– Je ne dis pas non. L'air est noble.

– Mais le visage est maigre.

– Les dents m'ont paru admirables.

– On les voit. La bouche est assez grande. Dieu merci ! décidé-

ment, monseigneur, j'avais tort ; vous êtes plus beau que votre femme.

– Et trouves-tu aussi que je sois plus beau que Buckingham ?

Dis.

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– Oh ! oui, et il le sent bien, allez ; car, voyez-le, il redouble de soins près de Madame pour que vous ne l'effaciez pas.

Monsieur fit un mouvement d'impatience ; mais, comme il vit un sourire de triomphe passer sur les lèvres du chevalier, il remit son cheval au pas.

– Au fait, dit-il, pourquoi m'occuperais-je plus longtemps de ma cousine ? Est-ce que je ne la connais pas ? est-ce que je n'ai pas été élevé avec elle ? est-ce que je ne l'ai pas vue tout enfant au Louvre ?

– Ah ! pardon, mon prince, il y a un changement d'opéré en elle, fit le chevalier. À cette époque dont vous parlez, elle était un peu moins brillante, et surtout beaucoup moins fière ; ce soir surtout, vous en souvient-il, monseigneur, où le roi ne voulait pas danser avec elle, parce qu'il la trouvait laide et mal vêtue ?

Ces mots firent froncer le sourcil au duc d'Orléans. Il était, en effet, assez peu flatteur pour lui d'épouser une princesse dont le roi n'avait pas fait grand cas dans sa jeunesse.