Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 25


– Très bien ! très bien ! M. le comte de La Fère, n’est-ce pas ?


– Justement.


– M. le comte est le bienvenu.


– Et il dînera avec vous deux, n’est-ce pas ? tandis que moi, pauvre limier, je vais courir pour mon service. Heureux mortels que vous êtes, vous autres ! ajouta-t-il en soupirant comme Porthos l’eût pu faire.


– Ainsi, vous partez ? dirent Aramis et Baisemeaux unis dans un même sentiment de surprise joyeuse.


La nuance fut saisie par d’Artagnan.


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– Je vous laisse à ma place, dit-il, un noble et bon convive. Et il frappa doucement sur l’épaule d’Athos, qui, lui aussi, s’étonnait et ne pouvait s’empêcher de le témoigner un peu ; nuance qui fut saisie par Aramis seul, M. de Baisemeaux n’étant pas de la force des trois amis.


– Quoi ! nous vous perdons ? reprit le bon gouverneur.


– Je vous demande une heure ou une heure et demie. Je reviendrai pour le dessert.


– Oh ! nous vous attendrons, dit Baisemeaux.


– Ce serait me désobliger.


– Vous reviendriez ? dit Athos d’un air de doute.


– Assurément, dit-il en lui serrant la main confidentiellement.


Et il ajouta plus bas :


– Attendez-moi, Athos ; soyez gai, et surtout ne parlez pas affaires, pour l’amour de Dieu !


Une nouvelle pression de main confirma le comte dans l’obligation de se tenir discret et impénétrable. Baisemeaux reconduisit d’Artagnan jusqu’à la porte.


Aramis, avec force caresses, s’empara d’Athos, résolu de le faire parler ; mais Athos avait toutes les vertus au suprême degré. Quand la nécessité l’exigeait, il eût été le premier orateur du monde, au besoin ; il fût mort avant de dire une syllabe, dans l’occasion.


Ces trois messieurs se placèrent donc, dix minutes après le départ de d’Artagnan, devant une bonne table meublée avec le luxe gastronomique le plus substantiel.

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Les grosses pièces, les conserves, les vins les plus variés, apparurent successivement sur cette table servie aux dépens du roi, et sur la dépense de laquelle M. Colbert eût trouvé facilement à s’économiser deux tiers, sans faire maigrir personne à la Bastille.


Baisemeaux fut le seul qui mangeât et qui bût résolument.

Aramis ne refusa rien et effleura tout ; Athos après le potage et les trois hors-d’œuvre, ne toucha plus à rien.


La conversation fut ce qu’elle devait être entre trois hommes si opposés d’humeur et de projets.


Aramis ne cessa de se demander par quelle singulière rencontre Athos se trouvait chez Baisemeaux lorsque d’Artagnan n’y était plus, et pourquoi d’Artagnan ne s’y trouvait plus quand Athos y était resté. Athos creusa toute la profondeur de cet esprit d’Aramis, qui vivait de subterfuges et d’intrigues, il regarda bien son homme et le flaira occupé de quelque projet important. Puis il se concentra, lui aussi, dans ses propres intérêts, en se demandant pourquoi d’Artagnan avait quitté la Bastille si étrangement vite, en laissant là un prisonnier si mal introduit et si mal écroué.